Les sciences « data-driven », ou la recherche « data-intensive », sont dites devenir les nouvelles normes épistémologiques de l’entreprise scientifique dans son ensemble. Le volume de données empiriques accessibles, combiné à l’émergence de nouvelles méthodes d’analyse des données ancrées dans l’apprentissage machine (machine learning) seraient annonciatrices de la « fin de la théorie » ou de l’avènement d’un « quatrième paradigme » scientifique selon lequel la simple corrélation statistique de motifs (patterns), induite à partir de jeux de données numériques massifs, remplacerait la causalité des modèles et des théories. Cependant, cette prophétie du renouvellement d’un inductivisme et d’un empirisme radicaux ne résiste pas à l’analyse critique des pratiques de production, d’analyse, de stockage et de partage desdites données de la recherche. Après une brève introduction historique permettant de restituer l’émergence des données en science et des méthodes d’analyse statistiques, nous nous pencherons sur le cas du Large Hadron Collider afin de montrer là où, dans la génération et la manipulation des données, revient la théorie dont certains observateurs voudraient se débarrasser.