L’analyse linguistique permet de révéler les idées, les valeurs et les croyances sous-jacentes au discours. La volonté des co-autrices est ici de mettre en lumière la vision que les biologistes ont de la science, des animaux et de leur relation avec ces derniers en analysant leurs écrits. Ce travail interdisciplinaire a été mené par deux écolinguistes, une spécialiste en animal studies et des chercheuses physiologistes ou éthologistes étudiant le bien-être des animaux d’élevage. L’analyse a porté sur trois articles scientifiques (Buchet et al, 2015 ; Favreau-Peigné et al, 2016 ; Litt et al, 2020). Ces articles concernant le bien-être chez le canard, le porc ou la caille ont tous été co-signés par l’une des co-autrices de la présente étude. Le logiciel LancsBox (V .6.x) a permis d’observer que la nominalisation et l’utilisation des verbes à la forme passive y sont surreprésentées par rapport aux corpus de référence disponibles pour l’anglais (« le sevrage/gavage est pratiqué… »). Les caractères mesurés sont évoqués sans que les animaux qui les expriment ne soient nommés. Ces formes de langage font disparaitre le sujet agissant (éleveur ou éleveuse, expérimentateur ou expérimentatrice) ou ressentant (porcelet, caille, canard), et occultent ainsi l’existence des êtres humains qui ont réalisé les travaux, ainsi que celle des animaux non humains étudiés. On note par ailleurs la rareté des termes relatifs aux émotions, au bien-être corporel, à l’individualité ou aux liens sociaux. Ainsi, les formes linguistiques utilisées reflètent très superficiellement, voire passent entièrement sous silence, la réalité du vécu des animaux, humains et non humains. Nous supposons que la réification des animaux permet de réduire la dissonance cognitive ressentie par les chercheuses, entre, d’une part, leur connaissance sur les capacités émotionnelles et cognitives des animaux étudiés et, d’autre part, les conditions de vie qu’elles-mêmes leur imposent. Effacer les scientifiques des textes permet en outre de passer sous silence leur responsabilité dans les actes réalisés. Cela masque également leur empathie, l’idéal d’objectivité scientifique étant supposé affranchi de l’affect. Le « dire » est socialement contraint et l’analyser, quand cela met en évidence des dissonances, est une première étape indispensable pour que les scientifiques s’approprient et proposent d’autres formes de langage plus cohérentes avec leurs propres convictions.