L’invisibilité des femmes du passé, qu’il soit historique ou archéologique, a été maintes fois soulignée. La mise en oeuvre d’une étude du genre est un des moyens de dépasser ce constat. En effet, dans les sciences humaines, les régimes de genre sont parfois considérés comme étant au fondement du corps social. Les rôles et les rapports entre les hommes et les femmes et, plus largement, entre les différents groupes sociaux sont réglés par des normes transmises par les systèmes éducatifs et les doctrines religieuses ; ces normes et ces règles sont transposées dans le système politique, transcrites dans les institutions et déployées dans l’organisation sociale. Étudier le genre, c’est étudier la société dans sa globalité. De plus, le genre a une existence matérielle : il s’exprime dans les vêtements, dans les activités techniques et économiques, dans l’espace, dans les objets et les outils. Il laisse également son empreinte dans les corps. Aussi, si on admet que la démarche archéologique repose sur l’étude de la culture matérielle, c’est-à-dire l’ensemble des objets, techniques et moyens matériels mis en oeuvre et utilisés par un groupe humain, notre discipline est fondée à explorer ce champ. Néanmoins, aborder le genre et la place des femmes durant la Préhistoire reste complexe. Pour ce faire, une méthodologie est ici proposée afin de mettre en évidence les apports et les limites de l’archéologie à la connaissance du genre et des femmes. Elle consiste à définir les aspects du genre perceptibles dans les données archéologiques, puis à les confronter avec les manifestations du genre rapportées dans les sciences sociales. Son objectif est d’évaluer les écarts entre le genre « vivant » et le genre tel qu’il apparaît dans les données archéologiques, notamment pour en apprécier les apports et les limites. Cinq aspects matériels du genre – l’identité de genre ; les rôles de genre ; les différences de genre dans l’alimentation, la santé et la mobilité ; l’acquisition du genre ; le pouvoir – sont abordés à l’aide d’une grille de lecture qui combine différentes données : distribution des biens funéraires selon le sexe et selon l’âge ; iconographies ; éléments du costume pour approcher les identités sociales ; résultats des isotopes stables (strontium, azote et carbone) et autres analyses chimiques pour appréhender la mobilité et l’alimentation ; ostéologie, études des marqueurs osseux d’activité et tracéologie pour restituer les tâches et la santé des individus ; étude des immatures pour apprécier la construction du genre ; valeur des mobiliers dans les tombes pour repérer les élites sociales ; etc. Appliquée au Rubané occidental, cette grille de lecture permet de mettre en évidence quelques tendances. Tout d’abord, certains hommes, ceux détenant des herminettes dans leur tombe, ressortent facilement des données. Ils se caractérisent en effet par plusieurs aspects qui leur sont propres. D’abord, ils sont tous d’origine locale et, dans certains cas, ils ont une alimentation plus riche en protéines animales que le reste de la population. Ils semblent avoir aussi des rôles et des activités spécifiques. En effet, de récentes études de tracéologie lithique montrent que les herminettes sont impliquées dans le travail du bois et dans des activités de boucherie. La violence interpersonnelle est aussi dans leurs attributions ainsi que, probablement, la chasse au grand gibier. Les femmes se distinguent surtout par effet de contraste avec ces hommes. Cependant, la population féminine n’est pas homogène. La parure, les éléments des vêtements, les broderies, qui sont les principaux biens funéraires affectés aux femmes, font ressortir plusieurs catégories selon leur présence et leur abondance. De plus, les femmes ont des régimes alimentaires variés et peuvent être d’origine locale ou non locale. Quant à leurs activités, la tracéologie et l’étude des marqueurs d’activités indiquent qu’elles sont impliquées dans le travail des matières souples, comme la peau ou les tissus, dans le filage et peut-être dans la mouture à l’aide de meules dormantes. Cependant, on ignore si des activités spécifiques caractérisent les différents groupes de femmes, celles sans parures, celles avec parures, celles d’origine locale ou extra-locale. Par ailleurs, des individus « déviants » semblent remettre en cause l’équation herminette/homme. En effet, une dizaine de femmes, dont la diagnose sexuelle n’est cependant pas totalement assurée, sont accompagnées d’herminettes. Si elle se confirme, cette donnée montrerait que le genre n’était pas un état stable, acquis une fois pour toutes. En matière de bilan des connaissances sur le genre et les femmes au Rubané, force est de constater que l’archéologie ne donne qu’une image très parcellaire. En ce qui concerne la division du travail par sexe, seulement quelques tâches ont été identifiées. De nombreuses activités productives – telles que la cueillette, le gardiennage des troupeaux, l’élevage – ne peuvent être attribuées à un groupe. Bien d’autres aspects du genre, en particulier ceux qui ne laissent pas de traces matérielles, sont insaisissables. Si la mobilité des femmes permet d’envisager, au moins partiellement, un schéma matrimonial patrilocal, les droits sexuels et les systèmes lignagers resteront probablement inconnus. Ces aspects sont cependant fondamentaux dans les relations entre les sexes, car ils constituent, selon les anthropologues, l’un des moyens par lesquels les hommes dominent les femmes. Le genre des espaces est également une question irrésolue, ainsi que la religion et le culte, qui sont pourtant des éléments centraux des régimes de genre. De plus, notre compréhension du genre est d’autant plus partielle que nous n’avons pas accès aux mythes, aux récits et à la cosmogonie qui sont le ciment de toutes les sociétés humaines. Cependant, une marge de progression existe, car les études archéologiques sur le genre ne se résument pas à une étude binaire des hommes et des femmes. Il est nécessaire d’explorer la variabilité sociale de la population rubanée dans son ensemble. En particulier, l’étude des femmes rubanées en matière d’identité, de rôles et de statut doit être approfondie.