Partant du constat du retrait de l’Origine dans le monde contemporain et de l’absence d’un « ciel commun de croyance » qui permette de faire Monde, cet article cherche à éclairer et interroger la volonté grotowskienne – et artaudienne – de refonder par le théâtre une demeure habitable pour l’homme, et de prendre rituellement en charge l’ouverture d’un monde commun. Cette quête n’échappe pas à un certain nombre de contradictions : comment l’acte théâtral pourrait-il encore instaurer une unité, si elle n’existe pas déjà dans le groupe ? Est-il encore possible de reconstruire une mythologie commune, dans un monde à ce point marqué par la fragmentation, la dissolution et le retrait de l’être ? Comment l’espace particulier du rituel pourrait-il permettre d’accueillir ce qui, précisément, se dissimule et se retire dans l’expérience moderne du monde ? À travers une étude panoramique du parcours théâtral et parathéâtral de Grotowski, et en convoquant la notion de « liminalité » théorisée par l’anthropologue Victor Turner, l’article met en lumière la possibilité de refaire monde à l’époque contemporaine en fondant théâtralement une « mythologie de petit groupe ».