L'égoïsme vertueux. Montaigne et la formation de l'esprit libéral
Résumé
Les historiens du libéralisme commencent le plus souvent leur généalogie avec les penseurs anglais des XVIIe et XVIIIe siècles, pour centrer leur réflexion sur l’élaboration d’une « théorie » économique et politique trouvant son essor au XIXe siècle. Cet ouvrage propose un retour en arrière en s’attachant à la pensée de Montaigne, prise dans son contexte historique – celui de la crise de l’humanisme, de l’extension du monde connu et des conflits civils. Tout en croisant des lectures différentes – celles d’un Montaigne « conservateur », « républicaniste » ou « apolitique » –, la lecture ici proposée fait des Essais l’hypothétique point de départ d’une réflexion éthique centrée sur les valeurs d’autonomie et d’expression de soi, que l’on peut rétroactivement qualifier de « libérale ». Par la césure qu’ils instaurent entre le public et le privé, les Essais conduisent à une réévaluation de la fonction et les limites des institutions politiques, en faisant, pour reprendre une formule de Tocqueville, d’« une sorte d’égoïsme raffiné et intelligent […] le pivot sur lequel roule toute la machine ».
Cet ouvrage comprend deux parties. La première porte sur le rapport à soi-même et aux autres à travers une triple analyse, de l’égotisme et de l’égoïsme montagnien, de la confrontation à l’altérité et de la transmission des savoirs. La seconde est plus précisément centrée sur les conséquences morales et politiques de ce nouvel égoïsme, pour conclure sur la description de deux modèles de refondation du social : l’amitié et la conférence.
Cet ouvrage d’historien de la philosophie a aussi et surtout pour but d’éclairer certains aspects de la crise contemporaine des modèles libéraux hérités des trois derniers siècles, en rendant le libéralisme à sa source première, non économico-politique, mais anthropologico-morale. Aussi, dans chacun des chapitres de l’ouvrages, l’originalité de la pensée de Montaigne est éclairée par des confrontations avec des auteurs contemporains (Arendt, Rawls, Habermas, Derrida, Charles Taylor, etc.) dont la problématique se rattache à une défense ou une critique du libéralisme.
Table des matières
Introduction
La lecture libérale de Montaigne
Libéralisme éthique vs. libéralisme politique
Première partie : Être à soi, être aux autres
Chapitre 1 – Égotisme et égoïsme
Le « prince des égotistes »
Esthétique et éthique de l’authenticité
« L’amitié que chacun se doibt »
Chapitre 2 – Figures de l’altérité: animal et animalité
L’autre, le tout-autre, l’animal
Le défi herméneutique de l’animal
La leçon de l’animalité : l’appropriation à soi
Chapitre 3 – Apprendre des autres : Le libéralisme éducatif
La redéfinition du « pedantisme »
Les paradoxes de l’emprunt
Doctrine sacrée et humaines fantaisies
Deuxième partie : Pratiques de l’égoïsme
Chapitre 4 – Liberté républicaine et liberté privée
La liberté négative
Le crépuscule de la liberté républicaine
Vices publics et vertus privées
La négociation du privé et du public : liberté de conscience et tolérance
Chapitre 5 – La sagesse de l’égoïsme
L’agir sceptique
La « petite prudence »
« Sçavoir estre à soi »
L’« arriereboutique »
Chapitre 6 – Nouveaux modèles de société. L’amitié
Hétérotopies montaigniennes
Vraie et fausses amitiés
« Il n’y a nul amy » : l’amitié politique
La langue des mystères
Chapitre 7 – Nouveaux modèles de société. La conférence
La « conference » montanienne au prisme de l’éthique discutationnelle
Civilité et solitude
Conférence et politesse civile
« Un peu plus que la bestise »
Conclusion : Vertu d’égoïsme ou égoïsme vertueux ?
Jusqu’où Montaigne est-il libéral ?
Quel genre de « libéral » est Montaigne ?
Sélection bibliographique
Index