A priori aucun médium ne paraît plus inapte que la photographie à traduire une atmosphère (qui suppose la relation sensible d’un sujet au monde). On tend habituellement à caractériser la prise de vue par une forme de spécularité et une aptitude quasi inhumaine à la précision (en raison de son automaticité). Dans leur réflexion sur l’histoire des atlas scientifiques, Lorraine Daston et Peter Galison font ressortir la concomitance, au XIXe siècle, du recours à la photographie et du développement d’un notion d’objectivité conçue comme trait définitoire des sciences. Pourtant l’image photographique (quand elle est réalisée par une personne) requiert une mise en présence effective avec le lieu qu’elle représente ; lorsque le viseur est placé devant l’œil de l’opérateur, la vue se donne même comme un « pseudo regard » porté sur les choses, une interface entre le monde du dehors et le monde du dedans, emblématisant dès lors une porosité entre le sujet et l’environnement réel au sein duquel il se tient. Cet échange n’est toutefois discernable que si l’opérateur choisit de le rendre sensible au travers de ses manières de faire. Mais la perception de l’atmosphère d’un paysage représenté au sein d’une (ou de plusieurs) photographie(s) suppose que l’œuvre conduise l’attention du spectateur à se détacher d’une épellation des éléments proposés au regard, du constat de leurs formes et de la manière dont elles voisinent dans le champ, pour éprouver davantage ‒ sur le mode de la résonance ‒ la tonalité affective du site représenté. C’est peu ou prou ce qui se passe au sein des récentes séries photographiques de l’artiste britannique Chrystel Lebas ‒ qui donnent à éprouver le climat affectif des forêts. Au sein de ces ensembles, les vues ne sont pas organisées par des lignes fortes (structurant la surface de représentation et la ramenant ainsi à une certaine littéralité), de sorte que le regard tend à fouiller l’espace figuré, dans la durée, comme il le ferait d’un milieu réel. Le faible nombre de choses susceptibles de polariser l’intérêt et d’être distinguées (voire nommées), comme la place importante laissée aux intervalles perceptibles entre les choses, facilitent le renvoi à une instance censée éprouver l’étendue représentée. L’éclairage et les conditions météorologiques contribuent à la diminution de l’attention portée aux éléments montrés au bénéfice de l’appréhension d’une spatialité affectée d’humeurs. Lors des expositions, le grand format des tirages confère de surcroît aux représentations une dimension englobante. Enfin, pour des raisons culturelles, la mise en image d’étendues boisées s’avère propice à la suggestion d’une atmosphère, la valeur émotionnelle attribuée aux forêts (riches en biodiversité) s’étant accrue à l’ère de l’anthropocène. Dimensions plastiques et symboliques travaillent donc à la suggestion d’une atmosphère.