Pour cette conférence, nous proposons de nous intéresser aux pratiques de médiation menées lors de visites guidées au sein d’un des musées partenaires du projet ANR-FNR Augmented Artwork Analysis (2021-2025), le Palais des Beaux-Arts de Lille. Alliant les expertises de la sémiotique, de l’histoire de l’art et de l’informatique, le projet vise à produire une application sur tablette numérique pour une perception et une interprétation augmentées de tableaux au musée. Le prototype mettra en évidence différentes strates de l’organisation d’une œuvre d’art : la construction plastique (textures, couleurs et composition) ; la dimension figurative et narrative (des personnages, des paysages et des objets qui participent de multiples récits) ; la dynamique esthétique (les sens, les perceptions et les affects des spectateurs). Dans une pratique de la recherche « orientée conception », où ajuster le design et les fonctionnalités de l’application aux pratiques existantes, nous avons constitué un corpus d’enregistrements audiovisuels de visites guidées (auprès de publics scolaires et non-scolaires) permettant de retracer et d’analyser les interactions entre les médiateurs et les publics, entre les groupes et l’espace du musée qui non seulement héberge des objets sémiotiques de natures différentes (l’architecture, la signalétique, les objets exposés et les paratextes qui les accompagnent, etc.) mais qui constitue lui-même un média engageant le corps des visiteurs, un cheminement physique (Davallon, 1999 ; Schall, 2015). Aussi avons-nous suivi des visites pour lesquelles les guides ne mobilisent aucune autre médiation que leur corps et d’autres visites qui s’appuient sur des médiations numériques pour montrer différents documents (études préparatoires, copies, tableaux exposés dans d’autres musées, etc.) de manière mobile (comme la tablette) ou fixe (comme le dispositif Gigapixels où sont projetées des numérisations d’œuvres à très haute résolution). Ainsi les enregistrements audiovisuels des visites permettent-ils notamment d’observer et décrire les tensions qui traversent les usages de ces outils numériques et les valorisations dont ils font l’objet en interaction, dans le passage entre des savoirs encyclopédiques et techniques acquis et des savoirs qui émergent d’une expérience sensible en groupe. À partir des pistes ouvertes par la thématique de ces doctoriales, cette intervention consistera à discuter les nuances terminologiques et pratiques qui se font jour à l’intérieur du vaste cadre des « études de la réception des publics » de musées, notamment à travers les notions d’expérience, de participation et d’engagement (Blanc, 2022). Il s’agira notamment de montrer que, au-delà d’une posture passive des visiteurs, les interactions entre guides et publics impliquent un positionnement plus ou moins conscient et plus ou moins explicite des acteurs dans la scène d’énonciation. Dans un dialogue entre une sémiotique des pratiques (Fontanille, 2008) et une analyse des interactions (Mondada, 2008 ; Dufiet, 2012), nous proposons une focalisation sur les pratiques des guides qui constituent une interface entre les institutions et les publics et qui assurent une médiation in situ entre les objets et les visiteurs aux profils hétérogènes. À partir d’extraits de notre corpus, nous porterons une attention particulière à la gestion de ressources sémiotiques plurielles (les paroles et les gestes en interaction ; le musée, ses affordances architecturales et technologiques) et aux tensions dialogiques qui agissent sur le déploiement d’un discours en interaction (anticipations, reprises, citations, etc.). La mobilisation de médiations instrumentées par le numérique (Blondeau et al., 2022) lors de visites guidées s’affirmera ainsi comme poste d’observation privilégié des (ré)appropriations en jeu dans la co-construction de perceptions et de savoirs sur les œuvres et à partir des œuvres. Un des enjeux de cette présentation consistera à mettre en perspective les enjeux théoriques et méthodologiques d’une approche interdisciplinaire de l’expérience des œuvres au sein d’un musée appréhendé à la fois comme lieu d’exposition d’objets artistiques et culturels (cultural studies), comme espace de développement de connaissances et d’apprentissages (learning studies), comme terrain d’exercice de professions extra-académiques et académiques (workplace studies).