Lorsqu’on évoque Henry V, on pense soit à la pièce de Shakespeare, soit au célèbre portrait en profil. Ces deux représentations sont posthumes, des images qui ont été créées plusieurs décennies après la mort du modèle. Même l’étude rapprochée du roi se fonde en premier lieu à l’évocation des représentations visuelles et poétiques : les historiens citent souvent des poètes comme Hoccleve ou Lydgate pour parler de Henry. On ouvre un manuscrit pour y trouver son effigie. Le MOOC sur la bataille d’Azincourt suit curieusement la structure de la pièce de Shakespeare. L’étude des archives s’intègre par la suite dans cette conception. Il est permis d’avancer que les légendes historiques ont la vie dure car pour le grand publique, la culture historique est bien moins ancrée dans le travail des historiens que dans celui des artistes et des poètes. Notre vision du Moyen Age doit bien plus aux œuvres de Walter Scott et de Victor Hugo, même si nos connaissances ont une dette plus grande envers les inventaires de Mérimée. Quelle version de Henry V, entre celles d’Olivier et de Branagh, offre la vision la plus réaliste de la deuxième décennie du quinzième siècle anglais ? L’écart entre ces deux films illustre l’évolution de nos connaissances historiques sur l’époque comme sur le roi, qu’il s’agît des relations qu’Henry entretenait avec ses pairs ou de l’équipement qu’il utilisait au combat. Mais il montre également les changements de lecture que nous avons de la pièce de Shakespeare. Les études de l’histoire, de l’histoire de l’art et de la littérature sont intimement liées. L’étude du roi Henry V est un exemple particulièrement problématique car il dynamise constamment les tensions entre la réalité historique et sa représentation littéraire et théâtrale. L’histoire de l’art enfin documente comment, sur le plan culturel, l’histoire du quinzième siècle anglais est dominée par la lecture que Shakespeare en a faite.