Face à la nécessité de diminuer les consommations d’énergies fossiles, de nouvelles normes sont entrées en vigueur dans le secteur du bâtiment : la réglementation thermique française (RT 2012) impose ainsi depuis 2013 que l’enveloppe extérieure de tous les bâtiments neufs soit étanche à l’air. Bien qu’elle ne soit pas (encore) obligatoire en rénovation, les rénovations énergétiques les plus performantes reposent également sur l’étanchéité à l’air pour atteindre les objectifs de consommation visés. La circulation de l’air dans le bâtiment est contrôlée et canalisée par un système de ventilation automatique, permettant une température constante à l’intérieur. La performance thermique du bâtiment repose dès lors en grande partie sur ce dispositif technique de ventilation, et la capacité des usagers à ne pas interférer (en ouvrant la fenêtre par exemple). Cette communication propose de questionner ces « nouvelles » techniques de construction, qui bouleversent autant les professionnels du bâtiment que les pratiques des habitants et usagers. A quel(s) imaginaire(s) (de la technique et de la relation homme/environnement) renvoie le « bâtiment étanche » ? En quoi cet environnement intérieur que construit le bâtiment étanche est-il aussi une façon d’habiter le monde ? Et dans quelle mesure les résistances ou insoumissions des usagers aux règles exigées par ces nouvelles constructions peuvent être interprétées comme la revendication d’une autre façon de concevoir son rapport à l’environnement, son rapport au monde ? Ces questionnements ont guidé une enquête qualitative menée auprès de concepteurs, ingénieurs, professionnels et usagers de bâtiments du patrimoine minier et universitaire rénovés pour atteindre de hautes performances énergétiques (programmes pilotes, bâtiments démonstrateurs et « intelligents », rénovations exemplaires) dans la région Hauts-de-France. Elle révèle que la mise en œuvre de l’étanchéité à l’air soulève à la fois des enjeux pour les professionnels du bâtiment (nouvelles pratiques et coordinations entre métiers) mais aussi des enjeux sociaux, environnementaux, sanitaires et éthiques. Pour autant, comme nous le verrons dans un second temps, ce débat n’est pas nouveau. On imaginait déjà au milieu du XVIIIe siècle des maisons imperméables à l’air et les promoteurs de ces maisons – les tenants des espaces clos et de la température constante – s’opposaient alors aux tenants des courants d’air et des contrastes de température. Un débat qui s’est d’ailleurs poursuivi tout au long du XXe siècle. Ce détour historique permettra de souligner que la maison traditionnelle n’était pas inefficace, mais reposait sur d’autres priorités, d’autres critères d’efficacité (un air sain, la pérennité du bâti, etc.). C’est donc également la question de l’efficacité qu’il s’agira de soulever, et en particulier la poursuite de l’efficacité énergétique qui suscite au sein de la littérature de plus en plus de critiques (effet rebond, impossible remise en cause des modes de vie (Shove, 2018), etc.). Nous discuterons finalement de la manière dont le bâtiment étanche inscrit et s’inscrit dans l’environnement. Si percevoir l’environnement, c’est en être un acteur (Ingold, 2000), le bâtiment étanche n’est-il pas, paradoxalement, un objet technique qui empêche de percevoir l’environnement, d’y agir ? Dès lors, quelle(s) façon(s) d’habiter le monde, quels « modes d’habiter » (Mathieu, 2012) ces bâtiments incarnent-ils ?