Mémoires en creux Enquête dans les archives du Creux de l’Enfer (1988-2022) Une plongée dans l’histoire d’un centre d’art exceptionnel - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2023

Mémoires en creux Enquête dans les archives du Creux de l’Enfer (1988-2022) Une plongée dans l’histoire d’un centre d’art exceptionnel

Résumé

Je vous remercie de m’avoir conviée à synthétiser un travail de recherche à partir des archives de l’histoire artistique du centre d’art le Creux de l’Enfer, amorcé en 2020 et qui se poursuit finalement encore aujourd’hui. depuis la fin des années 80, nombreux sont les artistes, pour certains aujourd’hui très reconnus à être venus exposer à Thiers au Creux de l’Enfer, pour ne citer que Georges Trakas, Mona Hatoum, , Saadane Afif, Fabrice Hybert, Hubert Duprat, plus récemment Tadashi Kawamata, Claire Tabouret, Vivien Roubaud, Flora Moscovici etc., ou encore dans les années 90 : Luc Tuymans, Doris Salcedo, Roman Signer, Diana Thater, Per Barclay, Miroslav Balka Michelangelo Pistoletto et Gary Hill, pour lesquels, se fut leur première exposition personnelle en France. En 1988, Le Creux de l’Enfer devient alors le 18ème centre d’art contemporain français. En 1990, Laurence Gateau est nommée directrice, elle participe grandement contribuer à sa reconnaissance nationale et internationale. Frederic Bouglé lui succédera de 2000 à 2018, puis Sophie Auger-Grappin, prend l’actuelle direction de ce lieu de création historique et atypique. En 2019, Sophie Auger Grappin me propose de participer en qualité de partenaire scientifique universitaire, à un projet DRAC sur la question des Mémoires. Au départ, le projet tel qu’esquissé consistait à ce que j’étudie en 2020, pendant environ un mois, en parallèle de mes autres missions notamment d’enseignement à l’université, les archives artistiques du creux de l’enfer, présentées comme éclectiques et de sélectionner certaines d’œuvres emblématiques exposées au centre d’art depuis son inauguration en 1988. Loin de faire un inventaire exhaustif des expositions, je devais ensuite pendant les semaines suivantes définir des entrées thématiques qui permettraient de retracer sous la forme de 6 courts textes mis en ligne et accessibles à un large public, quelques aspects de l’histoire artistique du Creux de l’enfer en accord avec le projet actuel. Voilà comment je me retrouve initialement « embarquée » dans ce vaste chantier qui prendra une toute autre dimension que celle esquissée initialement et pour lequel je me suis investie pleinement et in fine pendant plus de 2 ans. Mon statut de maitre de conférences m’a permis de m’investir sur le temps long dans ce travail, considérant que cela fait partie de mes missions de chercheuse statutaire. Un statut d’indépendante n’aurait évidemment pas permis un tel investissement, en tout cas pas dans les mêmes conditions. Ce travail de recherche, au-delà de la seule étude, a pris la forme d’une véritable enquête et la méthodologie adoptée a dû sans cesse être réinventée. Comment en effet, un centre d’art, historique de surcroît, peut-il garder trace dans la durée, des expositions et des productions qu’il a accompagnées. Au-delà de la conception de l’archive, comment en rendre compte à un large public ? Ma mission était donc celle de Restituer une histoire artistique de plusieurs décennies à un large public. Très vite je vais devoir inventer des méthodologies de travail, car comme tout projet, il s’agit de mesurer l’écart entre la spéculation initiale et la réalité des moyens mais aussi la réalité de terrain. Fin septembre 2020, je me rends à Thiers, au Creux de l’Enfer dans l’idée de récupérer les fameuses archives à étudier pendant un mois. L’équipe récemment renouvelée tente de rassembler les documents dont elle dispose. Un catalogue rétrospectif des 10 premières années, quelques catalogues nés de partenariat entre institutions, et une collection assez importante de petits catalogues produits à partir du milieu des années 2000, pour certaines expositions La limite toutefois de ces derniers est la teneur des textes souvent très philosophiques qui ne rendent pas vraiment compte de la nature concrète des œuvres exposées. Un classeur contient des DVD d’entretiens filmés entre F Bouglé et la plupart d’artistes qu’il a exposés, quelques dossiers papier me sont remis, mais ils traitent du Creux de l’Enfer avant qu’il n’existe comme centre d’art. Je découvre aussi sur place les spécificités du site, c’est une ancienne usine dont les prémices remontent au 16° siècle, reconstruite plusieurs fois et réhabilitée en 1987 en centre d’art., ces 4 niveaux encastrés dans un piton rochaux d’une part, et traversés de lumière naturelle d’autre port, la terrasse et le sous-sol, au plus près de la chute d’eau et de l’ancienne turbine hydraulique, ainsi qu’un un espace semi troglodytique dénommé La grotte. Le centre d’art est extrêmement poreux vis-à-vis de son environnement : à l’intérieur, le bruit de la chute d’eau qui le traverse est assourdissant, la roche à nu suinte, l’humidité est constante. Au sous-sol, des sacs de VHS dont on ignore ce qu’ils recèlent ont été entreposés au plus près de la chute d’eau pendant des années, La plupart se sont révélées illisibles. A l’étage, dans le bureau collectif juste en surplomb de la chute, l’on me présente une vieille armoire métallique, qui contient je pense environ deux milles clichés argentiques, sous la forme d’ektachromes. Je mesure alors l’immensité de la tâche pour la sélection de ces derniers et leur numérisation ! Pour les visionner, je reviendrai munie de ma table lumineuse et d’une loupe. Pendant 2 mois, je commence à me plonger dans ces documents, à tenter de reconstituer une chronologie et à documenter les expositions. Et je considère alors l’ampleur du chantier : je me rends compte que depuis 1988, le Creux de l’enfer a accueilli plus de 150 expositions personnelles et 18 expositions collectives Au final, environ 350 artistes ont exposé au Creux de l’enfer depuis sa création. Je m’aperçois aussi des limites des archives qui m’ont été fournies pour étude : car je ne dispose finalement quasiment d’aucune archive sur les projets et contenus « concrets » des expositions, les communiqués de presse, les textes de présentation et les articles de presse. Je constate aussi que les archives numériques depuis les années 2000 se résument principalement en des répertoires de photographies, rarement indexées, et surtout, pour la plupart peu exploitables, car de très mauvaise qualité. En effet, cela correspond à l’avènement de la photo numérique, et à l’illusion qu’elle a suscitée pour déléguer en interne la photographie d’exposition, avec un appareil de qualité médiocre, par un collaborateur non formé à la prise de vue. Ainsi les archives iconographiques numériques exploitables des années 2000 manquent. Cela contraste avec la qualité des images produites les 10 années précédentes, avant l’avènement du numérique, par un photographe professionnel. A cette époque anténumérique, le photographe travaillait avec un moyen format, voire à la chambre, en faisant en amont valider les points de vue par la direction avec des polaroids. Il restait plusieurs jours sur place. Chaque ekta produit était ensuite accompagné d’une légende précise écrite à la main ; ces ressources matérielles très fiables ont pu être archivées et me parvenir. Quant à leur état de conservation, c’est une autre histoire… Aujourd’hui, le centre d’art fait appel à un photographe d’exposition pour des iconographies hautement qualitatives et indexées. De plus pour chaque exposition une vidéo qui témoigne des phases de montage et de production, et qui donne aussi la parole aux artistes devant leurs créations est réalisée et mise en ligne. Je reviens à mon investigation : comme dans un premier temps j’ai très peu d’informations concrètes sur les expositions passées, je prospecte, via des bases de données et sonde aussi bien la presse locale que la presse spécialisée. Et je dois dire que paradoxalement, les articles les plus intéressants pour ce travail de recherche, ont été les articles factuels, je dirais presque descriptifs de la presse non spécialisée donc, la presse locale qui sera d’une grande ressource pour retrouver trace des expositions et comprendre la nature des œuvres produites et exposées ; Pendant presque un an, je sollicite des artistes et acteurs historiques du centre d’art, ancien directeur adjoint, secrétaire de direction, médiateur, industriels qui ont produit des œuvres, architectes en charge de la réhabilitation historique en 1887, et réalise une quarantaine d’entretiens. Tous ces échanges se sont avérés passionnants. Les personnes me font l’honneur de revivre avec elles, à travers leurs récits, cette expérience artistique qui les ont marqués. J’ai ainsi la chance de partager la réactivation de cette mémoire ; c’est très intime. J’en profite pour demander aux artistes de m’envoyer les photos qu’il me manque, quand ils en disposent et j’opère un travail de reconstitution de m’archive manquante. Très vite, vous vous en doutez, je suis complètement hors du calendrier initial. De plus, il me manque finalement encore toutes les archives des expositions, projets d’expositions, comptes rendus d’expositions, communiqués de presse… papier ou numériques. Et alors que j’aurais dû passer un mois à étudier les archives je vais finalement passer au moins 6 mois à les chercher et à tenter de les reconstituer ! l’équipe sur place des plus motivée, découvre petit à petit des ressources qu’elles me font passer au fil de l’eau. Des dossiers exhumés remontent à la surface, ce sont les dossiers papiers. Les dossiers numériques, s’ils ont été constitués, n’ont malheureusement jamais été retrouvés. Je viens aussi sur place regarder les ektas à la lumière de la table lumineuse. Je fais des centaines photos des pochettes. Je passerai ensuite des heures à les regarder à la recherche d’indice sur la nature des expos et œuvres exposées. Un jour, quelques mois déjà après avoir débuté mes recherches, je m’intéresse à un gros trousseau de clefs, je découvre que l’une d’elle ouvre une armoire métallique qui contient, une vingtaine de boite d’archives, littéralement collées par l’humidité. Elles recèlent toute la documentation des expos des 12 premières années, c’est-à-dire les années 90 et début des années 2000. Tout a été minutieusement archivé, notamment par Laurence Gateau. Ce sont surtout des questions de budgets qui sont discutées et de productions avec des aspects très techniques et très concrets = où trouver des perruches ou des lapins vivants, faire réparer un piano prêté abimé pendant une performance, négocier des coproduction avec des instituions partenaires, acheter au meilleurs prix des centaines de rouleaux de vénilia, comment acheminer un camion de marbre rose, comment trouver des entreprises locales mécènes ou partenaires pour faire du thermoformage, pour prêter des arbres, donner des plaques de métal, ou encore des tonnes de litres de lait corporel, trouver une équipe pour aller puiser l’eau en rappel, Je rentre vraiment dans l’intimité des projets, je revis le chantier de chaque exposition, qui est comme vous le savez, toujours un défi. Dommage que les fax soient effacés. Aux archives municipales, je retrouve également des archives papier. Je prends quasi tout en photo et pendant encore 3 mois, je reprends en note tout ce qui me semble intéressant pour le travail demandé. En avril 2021 je viens même dormir au Creux de l’Enfer, je le ferai deux fois. Le studio à moitié creusé dans la roche a été conçu pour les artistes en résidence ; mais le centre d’art est Fermé au public à cause du Covid, et je suis seule la nuit à passer les archives au crible et à les photographier, les salles d’expo sont éteintes, il fait très froid, c’est très humide, le bruit de la chute d’eau est retentissant la nuit. Cette Expérience nocturne sur place, permettra de mieux comprendre et ressentir les récits des artistes avec lesquels je pourrai m’entretenir et qui ont résidé sur place. En fait pendant 9 mois, bien au-delà du mois initialement prévu, je vais me prendre au jeu à compulser des informations et je finis par entrevoir la nature d’un certain nombre d’expositions sur les 30 dernières années et tente d’esquisser les fameuses entrées thématiques du projet DRAC. In fine, je vais mentionner le travail d’environ de 70 artistes, bien plus que prévu initialement, mais la sélection n’est reste pas moins très importante. Été 2021 je reprends mes quelques 200 pages de notes. En septembre 2021 je l’attèle à la rédaction des textes sans relâche Chaque texte est deux fois plus dense que prévu et l’ensemble est aussi précisé de plus de 300 notes d bas de pages dans lesquelles j’indique toutes mes sources. De plus, J’insère quantité de citations dans mes textes pour combiner les différents points de vue et ressources de cette histoire artistique faite d’une pluralité de voix et de mémoires. J’accompagne encore les textes d’autres paroles annexes, souvent tirées des entretiens, pour rendre vivants ces récits et tangibles cette histoire artistique. Voici les 6 entrées thématiques ou problématiques à partir desquels j’ai tramé ces récits, mis en ligne aujourd’hui et accompagnés de quelques iconographies : Mises en situation ; cette entrée me permet d’expliciter comment nombre d’artistes ont travaillé à partir du bâtiment comme matrice, jusqu’à métamorphoser complètement. Avec Réfléchir l’environnement = je reviens sur le pittoresque du site des œuvres qui ont pu réfléchissent cet environnement au sens optique du terme Avec l’entrée Le lieu comme matière : je fais se croiser des œuvres qui à travers leurs matérialités interagissent avec le creux de l’enfer en tant qu’il est lui-même un écosystème très organique Le texte L’art de la production renvoie à la mémoire des activités manufacturières dans cette historique vallée des usines et me permet de revenir sur d’importantes œuvre produites grâce au terreau industriel et artisanal local A travers l’Esprits de lieux je questionne l’origine de cette énigmatique l’appellation creux e l’enfer et je reconvoquer des œuvres qui partent de cette mythologie Enfin Machineries, qui est la reprise d’un terme qui nous ramène au mouvement et me permet de rappeler que ce lieu historique de dépense énergétique a aussi été le lieu d’expositions de nombreuses œuvres elle mêmes animées, mécanisées ou machiniques Pour chaque texte ; à une approche conceptuelle, je privilégie des analyses à partir des œuvres elles-mêmes et essayant de rendre palpable la nature concrète de ces dernières. Le récit n’est pas une forme neutre. Ces récits thématiques que je nomme « plongées », sont aussi résolument non chronologiques, je mets en perspective des œuvres et expositions d’époques différentes de manière à souligner des questionnements communs d’artistes qui ont investis les lieux à différents moments de son histoire. Par l’organisation de ces textes, je tente de rendre vivante cette mémoire artistique dans laquelle je me suis plongée et que j’ai parfois même imaginée avoir vécue. Ce travail de restitution des archives ne prétend aucunement dire l’histoire exhaustive du Centre d'art contemporain, ce sont bien plutôt des histoires, référencées, mais amenées à être complétées, relues, à partir de nouvelles données qui pourraient être retrouvées, mais aussi réactivées au regard des projets en cours qui continuent de s’inscrire en résonance avec ces entrées thématiques. Mais bien d’autres problématiques auraient pu être développées à la faveur des archives retrouvées. Pour la mise en ligne je propose une sélection d’images. Mais Les ektas soumis parfois pendant plus de 20 ans à une humidité permanente sont aujourd’hui recouvert d’une pellicule de moisissure qui atténue leur luminosité. Les images numériques du début des années 2000 manquent. Ce travail a été remis en avril 2022, et ce chantier qui devait durer quelques mois, finalement s’étirera sur presque 2 ans. Ensuite, de février 2023 à juin 2023, je suis venue sur place proposer des conférences qui reprenaient chaque entrée, l’occasion de développer librement et sur un temps plus long mon propos et surtout de montrer énormément de matériaux récoltés pendant cette enquête qu’il n’est pas possible de publier, notamment pour des questions de droit, dans un contexte éditorial. Les deux premières sont mises en ligne, les 4 suivantes devraient l’être sous peu. Au cours de ces conférence, l’auditoire, parfois familier du centre d’art m’apportaient encore de nouveaux matériaux à archiver. Car je n’ai cessé, au cours de mes recherches, de reconstituer les archives manquantes. Aujourd’hui, nous travaillons sur une publication papier pour 2025 qui sera aussi enrichie d’autres contributions. Le chantier se poursuit aussi sous la forme d’un co-commissariat en partenarait avec l'Institut Français et le dispositif "Viva Villa!", pour la réouverture en 2025 du site actuellement fermé pour travaux. Notons que les artistes invités au Creux de l’Enfer s’intéressent à cette généalogie artistique via ces récits mis en ligne et me demandent parfois des précisions sur certains aspects pour leurs propres projets. Enfin, en qualité d’universitaire, je dois dire que ce travail de terrain est des plus stimulants, il m’a offert une liberté d’investigation grâce à la confiance de la direction du Creux de l'Enfer, et ce fut l’occasion d’échanger de manière privilégiée avec de nombreux acteurs de l’art contemporain, de proposer une restitution grand public, au-delà des seules sphères universitaires.  
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-04584505 , version 1 (23-05-2024)

Licence

Identifiants

  • HAL Id : hal-04584505 , version 1

Citer

Anne Favier. Mémoires en creux Enquête dans les archives du Creux de l’Enfer (1988-2022) Une plongée dans l’histoire d’un centre d’art exceptionnel. Symposium sur les archives des centres d’art contemporain, Sandra Patron, directrice du Capc, Bordeaux Garance Chabert, directrice de la Villa du Parc, Annemasse Marie Chênel, secrétaire générale, DCA, Nov 2023, CAPC musée d'art contemporain, Bordeaux, France. ⟨hal-04584505⟩
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