M’appuyant sur un ensemble de photographies qui tantôt réalisent par le fait de montages des coudoiements d’espaces et tantôt produisent par l’usage de panoramiques des vues latérales, étirées en longueur et associant un périmètre de vision et une temporalité, je voudrais définir les traits d’une expérience que les urbanités les plus actuelles impliquent tout particulièrement. Cette expérience est celle du passant dont je distinguerai la figure de celles du flâneur et du promeneur. Chacune de ces figures met en jeu une certaine appréhension des lieux. Si je compte étudier plus précisément la première, ce sera pour deux raisons. La première tient à la tonalité psychique. Ce n’est pas que l’on puisse trouver dans le vécu du passant une meilleure intelligence des lieux, c’est que ce vécu fait plus que les autres travailler un imaginaire qui n’a pas recours aux dispositions psychiques de la mémoire. Toujours distrait, le passant fait comparaître l’ici et l’ailleurs dans un même moment. Son expérience ne se déploie par conséquent que dans une sorte de tension. La seconde raison de porter aux passages une attention spécifique, ce sont les motifs qui les suscitent. L’expérience du passant se déploie volontiers dans des espaces dispersés, épars même, précisément réputés comme sans forme. Il s’agit de périphéries, de zones industrielles ou commerciales, pour l’essentiel installées en bordure de voies routières qui contribuent autant à les distancier les unes des autres qu’à les distendre elles-mêmes. Contrairement à ce que laisse entendre de son côté le terme d’« agglomération », elles s’accommodent de tout un étalement urbain. On comprendra ainsi que, résistant par les modalités mêmes de leur localisation à se laisser traduire en représentations cartographiques unifiées ou en plans limités, les zones ouvertes aux passages se prêtent décidément mieux à des formats photographiques. Ces formats acceptent les décalages et les décadrages. Ils sont capables de discontinuité (ou d’une continuité rompue assimilable aux opérations de montage), de doublement (en répétant des motifs sans les ramener à une unité) et d’amplification (les images pouvant déborder les dimensions et les proportions d’un cadre de vision contraint par les possibilités de notre œil). Il s’agira de montrer par le fait comment ils peuvent donner à l’expérience du passage une forme porteuse, selon l’expression de Benjamin, d’une « haute conscience ».