« Le premier farceur de France », telle est l’épithète dénigrante accolée au nom de Molière par ses adversaires afin de dénigrer ses premiers succès. Par réaction, une fois le talent du dramaturge reconnu, les commentateurs se sont employés à effacer toute trace de cette image infamante, susceptible de ternir l’image du « grand auteur ». Dans cette communication, nous souhaitons montrer en quoi l’œuvre de Molière, en particulier à ses débuts, est effectivement tributaire de la tradition de jeu de la « farce baroque ». Héritière de la farce française de la Renaissance et de la commedia dell’arte, cette pratique, issue du système commercial des théâtres parisiens, place à la base de sa dramaturgie la prestation du « farceur ». Celui-ci incarne tout au long de sa carrière un personnage de sa création, basé sur des modèles archétypaux mais doté de caractéristiques de jeu uniques au comédien, ce qui le distancie des tipi sériés de la commedia. Nous nous proposons donc d’offrir un aperçu de ce qui, dans les textes de Molière, porte la trace de cette tradition : nous verrons en particulier comment l’auteur ménage pour lui-même et ses interprètes au sein de ses pièces des séquences de jeu sans rapport apparent avec l’intrigue principale, permettant aux comédiens de proposer le numéro de virtuosité attendu de leur personnage farcesque. Bien loin d’être des insertions artificielles, ces morceaux de bravoure constituent un élément structurant des pièces, donnant une segmentation rythmique à l’intrigue, tout en répondant à l’esthétique de variété prisée par les arts baroques. Nous verrons également comment Molière s’imprègne de cette tradition pour faire œuvre d’écrivain, et la dépasse, réinvestissant les séquences de jeu farcesque traditionnelles pour leur faire porter un propos d’auteur. Ainsi donc, bien loin d’être antinomique avec sa qualité de dramaturge, l’art du farceur fournit une structuration en profondeur à la création moliéresque.