Petites saynètes comiques destinées à terminer un spectacle sur un moment de légèreté, L’Embarras de Godard de Jean Donneau de Visé (1667) et Léonie est en avance de Georges Feydeau (1911) partagent, à deux siècles et demi d’intervalle, une approche similaire du phénomène social de la naissance. La description des conditions d’un accouchement au sein d’un foyer de la petite bourgeoisie urbaine est utilisée comme concentré d’action dramaturgique. Jouant à plein sur le temps (l’attente angoissée de l’enfantement dans une dramaturgie du temps réel) et l’espace (les jeux de montré-caché autour du lieu « ob-scène » où se déroule l’accouchement), les auteurs tirent profit d’une situation tout à la fois quotidienne et extrême pour en faire un dispositif spectaculaire d’une redoutable efficacité comique. Cependant, ces pièces ne se limitent pas à des instants de pure ludicité, mais offrent une tranche de vie de la classe moyenne saisie à un moment critique. Au travers des interactions fébriles d’une galerie de personnages concernés par l’ « évènement », ces pièces questionnent la sociabilité bourgeoise, les rapports de classe et les dynamiques de pouvoir intra-familiales. Il s’y lit également une remise en question des rôles genrés à travers la mise en valeur du personnage de la sage-femme et la relégation du père au second plan. Par le biais de deux visions contrastées, l’optimisme de Visé et le pessimisme de Feydeau, ce théâtre du rire « léger » propose un discours grinçant sur les rituels qui construisent les conditions sociales.