Décaler la question : « Qu’est-ce qu’une peine qui marche ? », de la sécurité vers la justice
Résumé
Je souhaite présenter les grandes lignes d’une démarche de recherche portant sur le système de justice pénale qui s’est construite à partir de présupposés de philosophie politique critique dans le contexte français. Dans le prolongement du travail de Foucault, cette démarche vise à mieux comprendre et évaluer l’expérience des condamnés en tant que gouvernés par des dispositifs de pouvoir et de savoir. Elle implique trois caractéristiques qui sont autant de « pas de côté » vis-à-vis de la production majoritaire des savoirs criminologiques et peuvent donc servir à la problématiser dans un esprit constructif.
Premièrement, il s’agit d’interroger le système pénal, non pas sous l’angle de son efficacité, mais sous l’angle de la signification politique de son action, c’est-à-dire comme rationalité gouvernementale. Plus précisément, plutôt que de postuler cette rationalité, il s’agit de repérer comment elle s’est construite ; par agglomération largement impensée de rationalités hétérogènes, potentiellement contradictoires. Cet « éclectisme » pénal postmoderne produisant des effets de domination spécifiques.
Deuxièmement, la compréhension de cette expérience suppose une recherche empirique du point de vue des acteurs. Mais plutôt que d’enregistrer ces expériences comme autant de « faits sociaux », ce qui implique de continuer à considérer les condamnés comme de simples objets d’un traitement institutionnel, il s’agit de permettre l’expression d’un « discours d’expérience », d’une pensée critique que les condamnés construisent sur leur situation.
Troisièmement, cette démarche implique un décalage des enjeux de sécurité vers des enjeux de justice sociale. S’opère ainsi un retournement de la question « Qu’est-ce qu’une peine qui marche ? ». La réponse ne peut plus être réduite à la non récidive ou la sortie de la délinquance, mais doit intégrer la finalité d’un rétablissement de la justice, ce qui implique que les condamnés puissent d’abord sortir de la peine elle-même.