Institutionnellement, l’innovation apparaît comme l’une des composantes de l’optimisation de la haute performance sportive contemporaine. Pour l’Agence Nationale du Sport, l’innovation renvoie à la volonté de faire émerger des connaissances scientifiques nouvelles et de les transférer pour changer les pratiques afin d’améliorer la performance des sportifs (Programme Ambition Bleue, 2020). Une enquête auprès des entraîneurs nationaux impliqués dans la préparation olympique permet de mettre en perspective cette vision institutionnelle. Cette population a été interrogée au cours d’une double enquête dirigée par Fabrice Burlot et Matthieu Delalandre : la première à l’issue des Jeux de Rio (2017-2018) ; la deuxième à l’issue des Jeux de Tokyo (2021-2022). Chacune de ces enquêtes a donné lieu à un recueil de données qualitatives (37 puis 30 entretiens semi-directifs) et quantitatives (189 puis 153 répondants à un questionnaire) auprès d’entraîneurs issus de diverses disciplines olympiques. Si l’amélioration du matériel, l’introduction de dispositifs techniques de pointe et le développement d’outils de mesure visant le suivi individuel des athlètes font partie des dispositifs d’innovation cités, les entraîneurs font plus largement référence à des formes de renouvellement plurielles, y compris pédagogiques, managériales et humaines. Loin d’une approche univoque, linéaire, standardisée et optimiste de l’innovation, cette analyse met l’accent sur les processus paradoxaux et complexes qui caractérisent la réflexion et le travail des entraîneurs confrontés aux injonctions de renouvellement et de performance. En renseignant ces paradoxes, l’analyse sociologique montre que la façon dont les entraîneurs se positionnent en pratique varie selon leur(s) formation(s) et leur trajectoire professionnelle, les ressources – notamment temporelles – dont ils disposent, les réseaux qu’ils construisent, etc. Aussi, les procédés d’isomorphisme (DiMaggio et Powell, 1983), notamment mimétique, explicatifs des mécanismes dits d’alignement, ne suffisent pas à rendre compte strictement des usages de la notion d’innovation, ni des opérations multiples et contraignantes de " bricolage " individuel et collectif qui caractérisent la mise en œuvre des pratiques innovantes dans ce milieu. Cette contribution permettra ainsi de discuter plus avant de la coexistence d’aspirants, qui " cherchent à aligner leurs stratégies sur les exigences d’une bonne évaluation analytique en termes d’excellence " (Paradeise et Thoenig, 2011), et d’entraîneurs qualifiés de patriciens, qui "jouissent d’une bonne assise locale en termes de prestige " et " sont réticents à jouer le jeu de l’excellence " (Ibid.), parce qu’ils envisagent la concurrence moins en termes de jugement ordinal que cardinal (Demeslay et Le Noé, 2015).