Malgré deux périodes plus politiques autour de 1830 puis dans les années 1848-18521, l’œuvre de Nerval semble caractéristique du désenchantement de la génération de 1830 , ravivé par le coup d’État de 1851. Nerval serait-il un « dépolitiqué », selon le terme de Baudelaire? Sylvie semble corroborer cette hypothèse, lorsque le narrateur, avec le ton d’un défenseur de l’art pour l’art, évoque « l’avide curée qui se faisait alors des positions et des honneurs» pour justifier le choix des chimères et le retrait d’une jeunesse idéaliste dans « la tour d’ivoire des poètes » (NPl III, p. 538). En 1838, la pièce Léo Burckart (rédigée avec Dumas) avait d’ailleurs montré à quel point le penseur qui arrive au pouvoir peut être démuni devant l’action et confronté à des contradictions insurmontables. En un siècle où les écrivains défendent volontiers l’idée d’une mission sociale de la pensée et de la littérature et prétendent même parfois exercer une autorité morale contre le Pouvoir, où ils s’engagent même directement dans l’action politique et briguent les suffrages des électeurs, Nerval se sentira obligé de défendre sa position, en refusant de se reconnaître dans l’image d’un poète des chimères, coupé de l’actualité politique. Mais il modulera néanmoins l’idée d’une action politique en l’infléchissant vers des formes « d’opposition » plus à même de donner un rôle à l’écrivain différent de celui de l’homme politique qui est obligé de se salir les mains dans une actualité mouvante et sans la garantie que son œuvre puisse marquer le cours de l’histoire. On verra que malgré ses réserves à l’égard de l’actualité de son temps, Nerval ne se détourne pas d’une pensée du politique mais qu’il s’oriente vers une approche métaphysique et globale de l’Histoire et vers une conception paradoxale du temps qu’il s’efforce d’ancrer dans une permanence.