Bien que les instances internationales aient joué assez tôt leur rôle de lanceurs d’alerte au sujet des dangers liés à la cybercriminalité, la recherche scientifique critique ne s’est pas imposée d’emblée en Europe continentale sur ce thème. L’article explore surtout la situation française et évalue les raisons de son retard par rapport à d’autres contextes, américain, canadien et britannique. Il émet une série d’hypothèses inter-corrélées montrant comment les enjeux de la cyberdéfense militaire ont longtemps occupé le devant de la scène de l’État français bien avant ceux de la cybercriminalité. Il explique comment deux innovations institutionnelles de la fin des années 2000 ont opéré, sous le concept de cybersécurité, la jonction nécessaire avec les préoccupations civiles et comment la communauté des sciences humaines ne s’est que très récemment mobilisée à la faveur d’une prise de conscience de la Justice pour penser la protection des entreprises et des internautes vulnérables. Il montre enfin comment les sphères politico-administrative et scientifique pourraient se rejoindre dans des programmes de recherche où une certaine criminologie des marges aurait son mot à dire, à condition de ne pas se focaliser sur les seuls «auteurs» et «victimes» de la régulation pénale classique.