Bien que sévèrement controversée tout au long du XVIIe siècle, la pointe parsème l’entière production poétique de la période baroque. Partageant plusieurs de ses qualités avec la maxime, il est étonnant de constater que les deux ne coexistent pas : à mesure que la mode des maximes s’impose, celle des pointes paraît de plus en plus douteuse et s’estompe. On ne peut cependant que reconnaître une grande porosité entre ces deux variantes du « bon mot », du « trait d’esprit », et il paraît intéressant de chercher à mesurer ce qui sépare (et rapproche) la pointe de la maxime – et partant, les poètes baroques des moralistes. Par le piquant des mots, la pointe soulève l’enjeu de crever les apparences et les faux-semblants pour chercher ce qui se cache au creux du monde et dans le cœur des hommes. Mais le poète baroque n’est pas encore l’« indispensable pilote » que le moraliste s’emploiera à être pour son lecteur. Il y a dans la pointe quelque chose d’excessif et de théâtral qui procède d’une morale particulière du dévoilement. Le poète baroque n’enseigne pas et il ne guide pas non plus son lecteur ; il se situe du même côté du theatrum mundi, dans l’obscurité de la salle, et cherche avec lui à y percer les masques et à en éclairer les coulisses. Figure saillante et polymorphe, la pointe est un procédé stylistique paradoxal qui emprunte en même temps à la rigueur atticiste des cicéroniens (brevitas, percutere animum…) et aux concetti flamboyants de Marino. Elle correspond avant tout à l’exigence baroque d’impressio : saisir le regard, sidérer l’intelligence, séduire la mémoire, et, en fin de compte, recueillir l’adhésion du spectateur ou du lecteur. Par la mise en spectacle des mots, il s’agit d’obtenir de lui une conversion pleine et entière (conversion religieuse – certes – mais aussi morale, amoureuse, philosophique, politique… poétique, enfin). La pointe est d’abord performative et réclame une (ré)action. Enfin, le titre de notre intervention – qui emprunte la formule de Cyrano de Bergerac en préface de ses Entretiens pointus – veut aussi rappeler que la pointe est la marque d’une posture éthique propre au monde baroque. La poésie y est tout entière conditionnée par une société mondaine et artistique qui fait de l’art de la conversation une valeur cardinale et crée avant tout par jeu et pour son plaisir. Le bon mot est toujours juste du moment qu’il plaît, qu’il entraîne l’adhésion par les réactions qu’il suscite. La pointe baroque ne va donc pas sans une civilité codifiée qui échange, transmet les textes, les discute, les commente et montre par là son attachement – moraliste avant l’heure – à la jouissance des mots et à un goût opiniâtre pour la vérité.