La représentation du sujet, en poésie baroque, est couramment inscrite dans le lieu, étrange ou familier, qu’il traverse. Dans ce cadre situationnel, la poésie manifeste le lien entre le moi et l’espace perçu, changeant, par cette opération, la présence du poète en un « habiter ». À ce titre, nous voulons interroger la manière dont le poète baroque s’inscrit dans son espace intime, par l’étude comparative de deux sonnets : « Le Paresseux » de Saint-Amant, auquel répond celui, contemporain, de son camarade et ami Vion d’Alibray, « Gros et rond dans mon cabinet ». Ces sonnets figurent le poète au travail dans des perspectives qui révèlent deux expériences divergentes de l’espace intime par le sujet baroque. Saint-Amant campe avec ironie la figure d’un poète dilettante, dissimulé dans son lit, dont la matière finit par le recouvrir tout entier ; à l’intérieur duquel il cherche même activement à se fondre et à disparaître. Vion d’Alibray, quant à lui, se donne en poète organisateur, architecte et chorégraphe de l’espace qui l’entoure et dont le moi constitue tout à la fois la source originaire et la matière. Dans le premier sonnet, le lieu absorbe la poésie dans une invitation à la paresse qui la rend laborieuse, sinon impossible ; dans le second, le lieu semble au contraire la condition même de la poésie. Cependant, dans les deux cas, l’espace intime résonne avec le sonnet lui-même en tant que lieu : espace poétique familier et clos, « habité » lui aussi par le poète. L’étude stylistique et comparative de ces deux sonnets cherche ainsi à révéler le rapport phénoménologique qu’entretient le poète avec l’espace intime, et partant, à mettre en évidence le mouvement du sujet – dans et par la poésie – vers sa propre intimité.