« À corps et à écrits. Gabriele Stötzer et la RDA : stratégies dissensuelles face à l’expérience genrée de la dictature »
Résumé
Même lorsqu’elles évoluent dans les subcultures artistiques situées
à la marge de la société socialiste, il ne va pas de soi d’étudier le rapport
à l’État des femmes artistes de la République Démocratique Allemande
(RDA) sous l’angle de l’opposition. Nombre d’entre elles relativisent voire
récusent d’abord la portée politique de leur pensée, de leurs pratiques et de
leur production pour ne faire valoir que la seule dimension artistique ; la
plupart d’entre elles refusent ensuite que l’on mette en avant leur identité
de femmes lorsqu’il s’agit de commenter et d’analyser leur œuvre, donnant
à comprendre qu’elles souhaitent être considérées avant tout comme des
« créateurs ».
Gabriele Stötzer, née en 1953 en Thuringe, échappe à toutes ces
règles : elle souligne d’une part volontiers qu’en plus d’être auteure et artiste
plasticienne, elle a été militante des droits civiques1 ; elle se déclare d’autre
part ouvertement féministe. C’est non seulement le cas aujourd’hui, à l’heure
où la notion est encore relativement peu acceptée du côté des « anciennes de
l’Est »2, mais ce l’était déjà du temps de la RDA. Ainsi, l’historienne de l’art
Susanne Altmann note-t-elle dans l’introduction de son catalogue consacré
aux créatrices rebelles en RDA : « Parmi les artistes considérées ici, Stötzer
1 L’engagement dans le Bürgerbewegung est évoqué dès les premières pages de la
brochure rassemblant les pièces les plus importantes du dossier de Stötzer à la Stasi,
BStU (dir.), ‘Eingeschränkte Freiheit’. Der Fall Gabriele Stötzer, Berlin, BStU, 2014,
p. 7.
2 À propos des difficultés à utiliser cette notion, voir : S. Goepper, « Hiérarchies et
discriminations de genre en RDA : inconnue, impensé ou aporie d’une “société
fermée” ? », Genre et enfermement : contrainte, dépassement, résistance, Lyon, Collection
Textures du laboratoire LCE, 2018, p. 135-146.
Femmes Face à l’État76
est en outre celle qui, le plus tôt, a développé les prémices d’une conscience
féministe qu’elle a systématiquement traduites sur le plan artistique »3.
Une autre particularité est que, depuis les années 2010, date de son
retour des Pays-Bas où elle vivait depuis les années 1990, Stötzer travaille
sans relâche à la reconnaissance de son parcours d’artiste et de citoyenne,
sans avoir peur du rapprochement avec les anciens membres de l’opposition
politique est-allemande (Bürgerrechtler) qui font souvent office de mauvaise
conscience des Allemands de l’Est. En 2013, elle était décorée de la croix du
mérite par Joachim Gauck, président fédéral allemand et ancien directeur
de la BStU (Die Behörde des Bundesbeauftragten für die Unterlagen des
Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen Deutschen Demokratischen Republik)4.
Par la proximité également affichée avec Roland Jahn, directeur actuel de
la BStU, ainsi que la référence fréquente à l’écrivain Jürgen Fuchs, elle se
range incontestablement du côté des dissidents les plus reconnus de la RDA.