L’agitation provoquée par le dossier de Notre-Dame-des-Landes mise à part, les débats actuels à propos du maillage aéroportuaire français ont surtout porté sur la densité de son réseau et, plus précisément, sur le nombre élevé d’aéroports avec de faibles trafics de passagers (Cour des comptes, 2016 ; CSAC, Rapport sur le maillage aéroportuaire, 2017). Cette approche par les trafics et par les flux de passagers est une manière simple d’examiner l’activité d’un aéroport et elle est aujourd’hui largement admise du côté des acteurs publics comme du côté des chercheurs. À partir du moment où on considère qu’un aéroport, en principe, est un équipement d’abord conçu pour transporter des voyageurs, il semble aller de soi que le trafic de passagers et l’offre de destinations soient parmi les premières informations analysées. La question qu’on se pose dans cette communication est de savoir si cet examen de l’activité de passagers aériens constitue aujourd’hui l’unique façon de mesurer l’utilité d’un aéroport et de valoriser l’infrastructure. Pour comprendre pourquoi les données de trafics et de flux aériens ont connu autant de succès auprès de la recherche en sciences sociales, il faut se replonger dans le contexte de la fin du 20e siècle et des efforts produits à cette époque-là pour théoriser les nouvelles interactions spatiales à l’échelle de la planète. Alors que S. Sassen (1991) expose la notion de villes globales, que M. Castells (1998) affirme que nos sociétés, désormais, se développent principalement grâce à leur mise en réseau, les données aériennes offrent le moyen d’éprouver un certain nombre d’hypothèses sous-jacentes à ces représentations théoriques. Elles présentent en plus l’avantage de fournir une information facile à interpréter, capable d’illustrer simplement des phénomènes relativement complexes, et elles ne nécessitent pas non plus de grandes manipulations avant leur exploitation, contrairement à d’autres données (Comme le PIB, par exemple). Ainsi, pendant les années 2000, les analyses vont se multiplier pour discuter, à partir des donnés aériennes, de la hiérarchisation de l’espace mondial et de la mise à l’écart de certaines parties du globe (Cattan, 2004; Amiel, Mélançon et Rosenblat, 2005 ; Derruder et Witlox, 2008 ; O’Connor, 2003 ; Mahutga et al., 2010). A l’échelle de la France métropolitaine, cette approche a également eu un certain écho, en particulier pour analyser les conséquences de la libéralisation du transport aérien européen sur l’évolution des dessertes et sur la recomposition du paysage aéroportuaire national (Varlet, 1997; Zembri 2000). Les effets de hub et l’ouverture de nouvelles dessertes régionales fait espérer des territoires mieux interconnectés et donne l’apparence que le transport aérien peut se poser en véritable aménageur du territoire. Quant à l’avènement du modèle en hub-and-spokes , il accrédite le rôle actif des grands équipements de transport, et en premier lieu de l’aéroport, dans le processus de métropolisation de l’espace français. S’il n’est évidemment pas question de contester l’apport des données aériennes pour certaines analyses, on peut néanmoins leur faire deux reproches que reconnaissent les études elles-mêmes. Le premier pose une question de représentation. L’approche consistant à examiner par leur taille, les points sur le réseau, ou bien par leur épaisseur, les flux entre ces points, a répondu à un besoin d’éveiller les consciences au constat d’une globalisation à plusieurs vitesses ; mais cette représentation demeure ultra-simplifiée et occulte le fait, qu’à des niveaux inférieurs, d’autres points et d’autres liens peuvent jouer un rôle capital dans la mise en relation et le développement d’autres territoires. C’est donc une première limite. La seconde dépasse la question de la représentation, et fait plutôt s’interroger sur le raisonnement qu’il y a derrière l’appréciation d’une infrastructure aéroportuaire et des flux qu’elle génère. La dimension quantitative – en somme, le volume de passagers –, est devenue la norme et, bien souvent, la seule à être analysée avec les données aériennes. Or on peut se demander si l’importance d’un aéroport et des échanges qu’il permet, pour un territoire, ne gagnerait pas à s’apprécier par d’autres aspects. C’est l’hypothèse que nous formulons dans ce travail. D’un point de vue méthodologique, elle nous impose d’élargir le cadre d’analyse à l’ensemble des aéroports, peu importe le niveau de leur activité commerciale de passagers aériens. Elle demande certainement aussi d’aller voir ce qui se joue à l’échelle des relations entre l’aéroport et son territoire, un autre aspect que les données aériennes ne renseignent pas du tout. Dans le cas de la France, cette réflexion présente une forte dimension politique. En effet, en dehors des aéroports parisiens et des grands aéroports régionaux, la majorité des aéroports enregistre une faible activité commerciale de passagers. Pourtant, Les élus et les acteurs économiques locaux, malgré la baisse des dotations publiques, continuent de défendre , dans leur très grande majorité, le maintien de leur plate-forme en la considérant comme un « élément déterminant pour leur territoire (…) à la fois un vecteur à partir duquel les élus locaux vont construire l’attractivité de leur territoire et une conséquence de cette attractivité » (Carrard, 2016). Ces propos posent précisément la question de savoir comment déterminer la valeur d’une infrastructure aéroportuaire dite « secondaire » : quels éléments, en plus des passagers aériens, doit-on considérer pour construire une grille d’analyse capables d’apprécier « à sa juste valeur » l’apport d’un aéroport de petite taille pour son territoire ? Pour répondre à cette question, nous avons conduit, pendant un an et demi, une série d’entretiens auprès de représentants de différents niveaux de collectivités territoriales (communes ou groupements de communes, départements, régions), de propriétaires et de gestionnaires publics et privés d’aéroports et auprès de certaines compagnies aériennes. La confrontation des points de vue a ceci d’intéressante qu’elle fait ressortir une diversité de situations et de réalités d’aéroport, ainsi que l’émergence ou l’affirmation de vocations particulières pour certaines infrastructures que l’approche par les données aériennes ne permettait pas de soupçonner. Bibliographie Amiel M., Mélançon G., Rozenblat C., 2005, « Réseaux multi-niveaux : l’exemple des échanges aériens mondiaux de passagers », Mappemonde, 79, 3, pp. 1-11. Castells M., 1998, La société en réseaux, l’ère de l’information, Fayard, Paris. Carrard M., 2016, « L’arrivée des opérateurs privés dans le réseau des aéroports français: éléments pour une réflexion prospective », Flux, 2016, no 4, p. 58–78. Cattan N., 2004, « Le monde au prisme des réseaux aériens », Flux, 58, pp.32-43.Derruder B., Witlox F., 2008, « Mapping world city networks through airline flows : context, relevance, and problems », Journal of Transport Geography, 16, 305-312. Mahutga et al., 2010, « Economic globalization and the structure of the world city system: the case of airline passenger data », Urban studies, 47, 9, pp. 1925-1947. O’Connor K., 2003, « Global air travel: toward concentration or dispersal? », Journal of Transport Geography, 11, pp. 83-92. Sassen S., 1991, The Global City : New York, London, Tokyo, Princetown University Press, New York. Varlet J., 1997, « La déréglementation du transport aérien et ses conséquences sur les réseaux et sur les aéroports », s.l., JSTOR, vol.106. Zembri P., 2000, « Les premiers effets spatiaux des recompositions de réseaux aériens en France : des effets d’aubaine fragiles mais une réelle ouverture de nombreuses régions françaises », Flux, 2000, vol. 16, no 41, p. 28‑40.