Dans une société aussi hiérarchisée que celle des Mayas à l’époque Classique (250-950 AD), l’organisation du travail faisait partie intégrante de la construction des cités mésoaméricaines. Pourtant, la difficulté de mettre au jour les ateliers lors des fouilles archéologiques est à l’origine de nombreux débats sur la nature et le fonctionnement de ces villes. Si nous avons conscience de la diversité des productions et des techniques employées, nous avons que très peu d’information sur les acteurs de ces systèmes. En l’absence de l’exploitation du métal, les outils lithiques étaient au centre de la vie quotidienne des populations précolombiennes. L’étude fonctionnelle de ceux-ci est une approche encore peu utilisée dans ce contexte culturel. Combinée à une étude contextuelle fine, cette démarche permet toutefois d’étudier la distribution spatiale des activités, permettant ainsi d’identifier les activités qui prenaient place dans une cité maya, pour mieux percevoir son organisation socio-économique voire politique. Nous avons réalisé l’analyse fonctionnelle d’un corpus d’outils lithiques d’un site guatémaltèque, couplée à une approche expérimentale, en nous appuyant sur les sources ethnographiques, épigraphiques et ethno-historiques pour construire nos protocoles. Pour cette étude, nous avons sélectionné un site où prenait place des systèmes de production malgré l’occupation extrêmement courte, et pour laquelle l’étude contextuelle des outils analysés était possible : Cancuén (département du Petén, Guatemala). Cette cité était le lieu de plusieurs productions artisanales (e.g. jade, pyrite, outils lithiques, mobilier céramique), pour lesquelles on a observé une division spatiale du travail extrêmement marquée. Pour notre corpus, nous avons sélectionné un type d’outil rare en aire maya, et pourtant en retrouvé grand nombre dans le site, avec plus de 1 800 artefacts découverts : les perçoirs en silex (n=139). Nous nous sommes également intéressés à l’outil le plus commun en Amérique centrale, avec 12 000 objets retrouvés à Cancuén : les lames en obsidienne (n=1 024). Pour comprendre comment ces outils étaient impliqués dans les activités de la cité, nous avons sélectionné une grande diversité de contexte, de la résidence modeste au palais royal, en intégrant des contextes rituels (sépultures et dépôts rituels) et cérémoniels (aguadas), mais également les structures impliquées dans les productions artisanales déjà identifiées. Ainsi, nous avons pu avoir une vision globale de la cité de Cancuén en ce qui concerne ces outils. Bien que le nombre de catégories typologiques d’outils lithiques analysés fût restreint, l’analyse fonctionnelle a révélé qu’ils étaient impliqués dans grande diversité d’activité, incluant des matières végétales, animales et minérales. On observe que l’utilisation des outils est opportuniste dans certaines structures, alors que l’étude des outils déposés en offrande laisse entrevoir leur implication dans des activités spécialisées, voire ritualisées. La distribution spatiale de certaines activités, comme le travail de dents, à proximité du palais, permet de s’interroger sur le statut de l’activité et de l’artisan. Ainsi, en mettant en commun les résultats fonctionnels avec les études spatiales, technologiques et épigraphiques, il nous est possible d’émettre des premières hypothèses quant à l’organisation des activités au sein de la cité de Cancuén, dont les productions lui ont valu de jouer un rôle important dans les réseaux d’échange à longue distance en Amérique centrale.