Introduction En zone urbaine, les déplacements automobiles quotidiens représentent une part importante de la pollution atmosphérique. Or il est désormais avéré qu’elle pose des problèmes environnementaux mais aussi sanitaires. Les choix de modes de transport sont en partie déterminés par la force de l’habitude (Lanzini, Khan, 2017). Elle représente un frein majeur au changement de comportement de mobilité en inhibant la recherche d’une solution alternative à la voiture solo. L’usage de la voiture pour effectuer des trajets quotidiens, revêt toutes les caractéristiques du comportement habituel. Il est répété et fréquent car quasi quotidien, il est effectué dans le même contexte tous les jours au départ le plus souvent de son domicile. Avec le temps il devient donc automatique, c’est-à-dire que le contexte « se rendre sur son lieu de travail depuis son domicile » active directement le choix de la voiture. La compréhension des facteurs qui influencent la formation et la variabilité de l’habitude de l’usage de la voiture pourrait donc permettre d’améliorer l’efficacité des mesures qui visent les changements de comportements de mobilité. Cette communication présente d’une part la validation en français de l’échelle de mesure de l’habitude « Self Report Habit Index » (SRHI), développée par Verplanken et Orbell (2003), et proposée dans une version courte en six items, par Verplanken et Roy (2016). D’autre part, elle met en évidence des dispositions psychosociales et des facteurs situationnels qui influencent la force de l’habitude d’actifs urbains. Méthodologie Cette recherche a été menée auprès de 721 personnes (361 femmes et 360 hommes, âgés de 21 à 65 ans, âge moyen = 39 ans) L’échantillon se compose uniquement d’actifs puisque les trajets pendulaires sont ceux pour lesquels la probabilité de développer une habitude de la voiture est la plus forte du fait de leur fréquence et de leur régularité. Nous avons également choisi d’interroger des personnes qui ont une voiture à disposition pour leurs déplacements pendulaires, en effet, l’accès à une voiture est un pré requis de la formation de l’habitude de son usage. Nous avons exclu de l’échantillon des personnes qui ne seraient pas en capacité physique de se déplacer en transports en commun ou d’utiliser des modes alternatifs à la voiture (marche à pied ou vélo), et qui seraient en quelque sorte contraintes à l’usage de la voiture. Le questionnaire a été complété en face à face au domicile des participants. Il comprenait les six items du SRHI en français, ainsi que deux indices comportementaux déclarés, le kilométrage annuel déclaré et la « Response frequency measure » (RFM) (Verplanken et al.,1994) pour tester respectivement la validité prédictive et la convergente de l’échelle du SRHI. Il intégrait trois facteurs situationnels. La zone d’habitation (centre ou périphérie) est utilisée pour distinguer un accès plus ou moins facile aux transports en commun. L’indice de disponibilité de la voiture est le rapport entre le nombre de véhicules possédé par le ménage et le nombre de personnes du ménage détenant un permis de conduire. Enfin la possession d’un abonnement à un mode de transport alternatif est un indicateur de facilité d’accès à un autre mode que la voiture. Quatre variables psychosociales ont été recueillies à partir d’échelle d’items, les réponses sont de type lickert de 1 « pas du tout d’accord » à 5 « tout à fait d’accord » : − Les attitudes générales à l’égard de l’environnement sont mesurées avec une version en 15 items (Schleyer-Lindenmann & al. 2014) de la « New Ecological Paradigm Scale» (α= .92), − l’identité sociale environnementale est mesurée avec 3 items (Van der Werff, Steg & Keizer, 2013) (α = .95), − la conscience que la voiture pollue intègre six items (exemple d’item « Je pense qu’utiliser la voiture aggrave la pollution de l’air »)( α = .93), − l’attitude vis-à-vis de la voiture est évaluée avec 5 items décrivant le plaisir pris à l’utiliser, mais aussi le sentiment de liberté et d’autonomie ( α =.89). Résultats L’analyse factorielle confirme la structure unidimensionnelle de l’échelle de l’habitude. La consistance interne de l’échelle est satisfaisante avec un alpha de Cronbach égal à 0.94. Comme pour la version originale, le coefficient de corrélation entre le RFM et la mesure de d’habitude a été calculé pour vérifier la validité convergente de l’échelle d’habitude qui se révèle satisfaisante (r= .64, p<.0001). La corrélation positive (r=.42, p<.0001) entre la mesure de l’habitude et le kilométrage annuel déclaré atteste de sa validité prédictive. Pour évaluer la fiabilité temporelle de l’échelle courte en français du SRHI, la méthode test/retest a été appliquée sur un échantillon post-hoc (N = 241). Les deux passations se sont déroulées de deux à trois semaines d’intervalle. L’indice de corrélation entre le test-retest est de .84 (p<0.0001), ce qui nous permet de conclure à une stabilité temporelle satisfaisante de la version française. Les résultats des analyses de variance indiquent que les hommes (M=3.63, ET=1.22) présentent une habitude de la voiture significativement plus élevée (F (1,720) =40.57 p< 0,0001) que les femmes (M=3.07, ET=1.13). En revanche, l’âge et le niveau de diplôme n’influencent pas significativement l’habitude. Les personnes qui habitent en zone « périphérie » ont une habitude (M=3.69, ET=1.14) significativement plus élevée F(1,720) = 56.04 p< 0,0001) que celles qui habitent en zone « centre » (M=3.04, ET=1.19) . Les personnes qui ne disposent pas d’abonnement à un mode de transport alternatif présentent une habitude (M=3.70, ET=1.16) significativement plus élevée (F(1,720) = 107.49 p< 0.0001) que celles qui disposent d’un abonnement à un mode alternatif (M=2.80, ET=1.07). Enfin l’indice de disponibilité de la voiture est significativement corrélé avec l’habitude de la voiture (r=0.12) Toutes les variables psychosociales sont significativement corrélées avec l’habitude de la voiture. Plus la voiture procure un sentiment de plaisir de liberté et d’autonomie et plus l’habitude de la voiture est importante (r=0,52). Les attitudes générales vis-à-vis de l’environnement, l’identité sociale environnementale et la conscience que la voiture pollue sont corrélées négativement mais plus faiblement (resp r= -0.12, -0.21,-0.24) avec la mesure de l’habitude. Ainsi moins les individus sont préoccupés par l’environnement, moins ils se perçoivent comme une personne respectueuse de l’environnement, moins ils ont conscience que la voiture pollue et plus leur habitude de la voiture est forte. Des analyses de régressions multiples ont ensuite été conduites en trois étapes pour examiner l’influence relative des différents types de variables sur les variations de l’habitude. Seules les variables ayant présenté des effets significatifs dans les analyses univariées sont conservées. Le sexe est introduit comme une variable contrôle dans les modèles. Le premier modèle montre que les variables situationnelles expliquent 20,6% de la variabilité de l’habitude. La zone d’habitation et la facilité d’accès à un mode de transport alternatif contribuent de manière similaire au modèle (resp. β= .22 et .29). La disponibilité de la voiture contribue de manière significative au modèle mais dans une moindre mesure (β=.08). Dans le deuxième modèle l’ajout du score d’attitude envers la voiture améliore significativement la qualité du modèle avec une progression du R² ajusté de 17% (p<0.0001). On observe d’ailleurs que c’est elle qui influence le plus la force de l’habitude (β=.43). Enfin dans le troisième modèle sont ajoutées l’identité sociale environnementale, la conscience que la voiture pollue et les attitudes générales vis-à-vis de l’environnement. La qualité du modèle est significativement améliorée (p=0.0032) même si la progression du R² est faible (ΔR²aj=0,9%). Les attitudes vis-à-vis de l’environnement en général n’interviennent pas significativement (p=0.7847) dans le modèle, l’identité sociale environnementale et la conscience que la voiture pollue ont une influence modérée (resp. β=-0.07 et β=-0.08) par rapport à l’attitude envers la voiture qui reste le facteur prépondérant (β= 0,42). En résumé l’échelle courte du SRHI en français est validée pour mesurer la force de l’habitude de la voiture. Nous l’avons utilisée auprès d’un échantillon d’actifs urbains pour identifier les facteurs qui l’influencent. Les variables situationnelles décrivent bien le contexte dans lequel se forme l’habitude de la voiture. Nos résultats montrent qu’elles expliquent à elles seules 20% de la variabilité de l’habitude. La facilité d’accès à un mode de transport alternatif est appréhendée par la zone d’habitation, où l’offre de transport alternatif est plus ou moins attractive (centre ou périphérie), et par la possession ou non d’un abonnement à un mode de transport alternatif. Elle se révèle plus fortement liée à la force de l’habitude qu’à la disponibilité de la voiture. Avec l’introduction de l’attitude envers la voiture, le pouvoir explicatif du modèle passe à 38%. Le sentiment d’autonomie, de liberté et d’indépendance que procure l’usage de la voiture est la variable qui influence le plus la force de l’habitude. Elle reste prépondérante même après l’introduction de la conscience que la voiture pollue et de l’identité sociale environnementale qui contribue peu à expliquer la variabilité de la force de l’habitude.