Introduction En France la principale source de pollution atmosphérique est le secteur des transports, à l'origine de 63 % des émissions d'oxydes d'azote et de 16 % des émissions de particules fines au niveau national (rapport Citepa, 2019). Ainsi, ce secteur doit faire face à deux enjeux majeurs. Le premier, global, est la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) pour diminuer l’impact de la pollution de l’air sur le climat et les écosystèmes. Le second est local et de santé publique car environ 48 000 décès prématurés par an sont attribués à la pollution de l’air extérieure, ce qui correspond à 9 % de la mortalité en France selon Santé Publique France (2016). Les changements comportementaux en matière de choix de modes de transports ainsi que l’adhésion aux politiques publiques pourraient contribuer à la réduction des impacts de la pollution tant au niveau local que global. Face à la mise en place de ces mesures se pose la question de l’adhésion des individus et plus spécifiquement des automobilistes, qui sont directement ciblés. En effet, l’efficacité des mesures repose en partie sur la volonté des individus à s’y conformer et à modifier leurs comportements en matière de déplacements. Afin de mettre à jour les freins aux modifications de comportements ou à l’adhésion à des politiques publiques qui visent à réduire la pollution de l’air, nous nous appuierons sur le concept de distance psychologique (Trope & Liberman, 2010). Il pourrait être un prédicteur de la perception d’une menace environnementale qui en retour affecte l’intention de s’engager en faveur de l’environnement. Des recherches sur la thématique du changement climatique ont montré que le changement climatique est perçu comme « distant psychologiquement », c’est-à-dire correspondant à un ensemble d'événements incertains qui vont se produire dans le futur, dans des lieux lointains, en touchant des personnes dissemblables (Pidgeon 2012 ; Spence, Poortinga, & Pidgeon, 2012). Cette distance à laquelle les individus se représente le phénomène freinerait l‘adoption de comportements pro-environnementaux en agissant sur la perception des risques et les préoccupations environnementales. La conscience du changement climatique ne serait donc pas suffisante pour l'engagement puisqu’il est souvent perçu comme une menace lointaine. Or quelqu'un qui n'est pas préoccupé par une menace ne sera pas motivé pour y faire face (Witte, 1992). Nous proposons grâce à l’analyse d’entretiens semi-directifs de mettre à jour les articulations que les automobilistes réalisent entre leur mobilité quotidienne et les conséquences de la pollution au niveau local et global, la perception du risque encouru, leur perception des solutions de mobilité alternative et des différentes politiques publiques. Elle permettra d’expliquer les mécanismes psychologiques mais aussi les facteurs contextuels qui freinent les modifications de comportements ou l’adhésion à des politiques publiques restrictives en matière d’utilisation des véhicules particuliers. Méthodologie La méthodologie de l’entretien semi-directif a été mise en œuvre. Ce procédé d’investigation scientifique utilisant un processus de communication verbale permet de recueillir des informations en relation avec le but fixé. Il concerne la production de discours de la part des personnes sur leurs vécus, sur les aspects comportementaux et les facteurs cognitifs (croyances sur les conséquences), conatifs (intention d’agir) et affectifs (évaluation des coûts) qui les modulent. L’entretien incite à la construction d’un discours sur un thème proposé sans pour autant imposer un système de référence. Il est caractérisé par son organisation à partir de questions ouvertes structurées grâce à l’utilisation d’une grille d’entretien dans laquelle figurent les thèmes à aborder. La grille d’entretien a été construite autour de cinq thèmes. - Les déplacements dans la vie quotidienne sont le premier thème de l’entretien. Sont abordés les différents déplacements de la vie quotidienne, leurs motifs, les modes de transports utilisés ou non, les avantages et inconvénients des différents modes utilisés, les conditions pour se déplacer autrement qu’en voiture, et la description d’un mode de transport idéal. Cette partie se termine par les problèmes que pose l’usage de la voiture pour observer à quel niveau va se situer le discours des personnes interrogées sans référence à l’environnement. - La pollution et ses effets est le deuxième thème. Les questions explorent la façon dont est perçue la pollution de l’air : est-elle expérimentée et dans quelles situations, directement par les sens ou connue via l’information ? quels sont les effets les plus concrets ? à quel niveau les effets vont-ils se situer : sur la santé et sur soi ou sur le climat au niveau de la planète ? qui sont les personnes concernées par ces effets soi, les personnes fragiles, les générations futures ? Des questions abordent également la vulnérabilité perçue, la gravité des effets, et le risque encouru. - La prise en compte de la pollution dans la vie quotidienne est le troisième thème. Les questions concernent le niveau de préoccupation et d’inquiétude vis-à-vis de la pollution. Sont interrogés également les comportements individuels adoptés pour réduire la pollution de l’air, ceci afin de comprendre comment est justifié l’usage de la voiture individuelle, quelles sont les possibilités d’actions que les personnes envisagent et quel en est le niveau de difficulté perçue. - Le quatrième thème s’intéresse à la perception des solutions de mobilité alternatives à la voiture individuelle et des politiques publiques environnementales. Il est demandé ici aux personnes interrogées de donner leur avis notamment en termes d’efficacité et d’acceptabilité sur 6 mesures (mise en place d’une ZFE, aide pour l’achat d’une voiture ou d’un vélo électrique, pistes cyclables et voies de covoiturage, taxes à l’achat de voitures neuves les plus polluantes, taxe carbone et interdiction de circulation des voitures thermiques à l’horizon 2030). - Pour tenir compte du contexte, le dernier thème porte sur l’impact de la crise sanitaire sur les déplacements des personnes ainsi que sur la pollution de l’air. Cinquante entretiens ont été réalisés auprès de personnes résidant sur le territoire de la métropole de Lyon. L’ensemble des communes sont desservies par les transports en commun lyonnais, assurant un accès plus ou moins facile à un mode de transport alternatif à la voiture. Toutes les personnes utilisent leurs véhicules de manière quotidienne, notamment pour effectuer les trajets domicile-travail. Une diversité de personnes a été interrogée en tenant compte de critères tels que le sexe, l’âge, la profession, le dernier diplôme obtenu ainsi que la commune de résidence et de travail. Les entretiens ont été effectués entre juin et novembre 2021 en face à face, soit au domicile des personnes, soit à proximité de leur domicile ou lieu de travail, dans un lieu calme et approprié. Tous les entretiens, d’une durée moyenne d’une heure, ont été retranscrits et sont actuellement en cours d’analyse grâce à plusieurs méthodes complémentaires que sont l’analyse thématique, typologique et lexicographique. L’analyse thématique consiste à repérer les thèmes d’un corpus pertinents avec les objectifs de la recherche et à les documenter, en traçant des parallèles ou en relevant les oppositions entre les thèmes, afin de construire un panorama (arbre thématique) permettant de comprendre « les grandes tendances du phénomène à l’étude » (Paillé & Mucchielli, 2012). Les discours seront catégorisés afin de conduire une analyse typologique permettant d’explorer si certains discours sont sous-tendus par l’existence de profils psychosociaux. L’analyse lexicale permet de comprendre avec quels lexiques les thèmes sont abordés grâce à l’étude de classes lexicales (Marchand & Ratinaud, 2012). Les résultats de cette analyse feront l’objet de la communication.