Julie Rateau-Holbach, Aix Marseille Univ, CNRS, TELEMME, Aix-en-Provence, France. Pauline Savéant, Aix Marseille Univ, CNRS, TELEMME, Aix-en-Provence, France. "Au-delà de la valorisation des échanges commerciaux entre Marseille et les pays nord-africains, les Expositions coloniales marseillaises de 1906 et de 1922 ont accueilli des artisans dits « indigènes » qui devaient produire sur place des objets typiques issus de l’art et de l’artisanat arabe ou musulman. D’abord concentrés sur la présentation de l’Algérie et de la Tunisie en 1906, puis sur le Maroc en 1922, les commissaires des événements coloniaux marseillais et en particulier Joseph de la Nézière, mettent en lumière les productions nord-africaines les plus appréciées des visiteurs européens valorisant ainsi certains objets artisanaux et culturels au détriment d’autres. Les artisans maghrébins engagés — seulement mentionnés par leur activité et jamais nommés — sont alors tenus de promouvoir les colonies nord-africaines représentées de manière pittoresque et divertissante par la fabrication d’objets choisis par les organisateurs dans un souci « esthétique » et « touristique ». Dans les discours et les rapports de ces événements, les trajectoires individuelles de ces acteurs ont été omises provoquant ainsi un oubli considérable dans l’historiographie de ces expositions. Plus tard, en 1982-1983, Marseille organise une manifestation culturelle de grande ampleur, pensée et soutenue par le maire de l’époque, Gaston Defferre. Cet événement, nommé à l’origine « Marseille/Islam », a pour but de présenter aux Marseillais l’ancienneté des contacts et des échanges entre la cité phocéenne et les « pays d’Islam ». Renommée en début d’année 1982 « L’Orient des Provençaux », cette manifestation, composée de dix-sept expositions, est inaugurée en novembre de la même année. La galerie de la Vieille Charité présente une section intitulée « Les expositions coloniales 1906-1922 ». Organisée en deux parties, elle propose d’un côté l’historiographie documentée des deux événements coloniaux, et d’un autre côté une présentation dite « ethnographique » de l’artisanat du Maghreb. L’objectif affiché par les conservateurs, dans le montage du projet comme dans leur communication publique, n’est pas une reconstitution du travail des artisans nord-africains pendant les deux manifestations coloniales. Ils proposent une mise en scène atemporelle et impersonnelle des métiers, prétendument pour « recréer l’ambiance qui avait séduit les Marseillais » en 1906 et 1922. Une nouvelle fois et malgré un contexte différent, le temps n’est pas à l’identification des artisans et à la traçabilité de leur parcours. Les individus issus de pays colonisés présents et exhibés dans des événements nationaux de types expositions universelles ou coloniales ont fait l’objet de très peu d’études. Pour exemple, le travail partiel d’identification s’ouvre dans les années 1990/2000 avec une approche quelque peu narrative qui ne laisse pas de place à un apport critique fondamental. Cette volonté de restituer une histoire davantage documentée à ces individus oubliés, connaît un véritable essor avec les subaltern studies et les postcolonial studies depuis quelques années notamment en histoire de l’art grâce aux recherches du Centre Pariset à Bordeaux. S’inscrivant dans l’axe 2 « Trous de mémoire, absences et impensés », cette communication aspire, tout d’abord, à faire sortir de l’oubli les acteurs artisanaux nord-africains déployés en 1906 et 1922 à Marseille en précisant la méthodologie appliquée et le traitement des sources nécessaire à la mise en récit de ces parcours de vie. Ensuite, cette communication souhaite questionner les discours impensés des commissaires des Expositions coloniales et des organisateurs de « L’Orient des Provençaux » qui ont conduit à la non-reconnaissance des artisans algériens, tunisiens et marocains présents aux expositions coloniales et provoqués/entretenus l’impersonnalité de leur métier. Il s’agit d’une proposition réfléchie en dialogue pluridisciplinaire. Elle implique l’histoire de l’art dans la définition et l’analyse des acteurs et des productions présentés aux expositions coloniales marseillaises et trouve une complémentarité avec l’histoire dans l’étude de la politique culturelle municipale de Marseille à partir de la décennie 1980, qui permet d’interroger les discours publics produits sur la ville et sur son histoire. Ce dialogue illustrera les ruptures et les continuités qui existent entre les périodes coloniale et postcoloniale concernant la mise en exposition de « l’Autre » ou de « l’Ailleurs » en France."