En Provence, les professionnels du vin ont opéré une spécialisation réussie en vins rosés à partir des années 2000. cette « mutation qualitative » a été permise par « des politiques d’amélioration (…) (choix des cépages, techniques de vinification, assemblages) » (Moustier 2019, 177). Modèle de réussite, les vins Rosés de Provence sont copiés dans les autres régions productrices de vins rosés. Leur couleur claire ou leurs arômes fruités sont partagés par la plupart des rosés produits en France et dans le monde. Les acteurs liés aux vins rosés en Provence se demandent comment garder une spécificité de leurs vins. Les pratiques en caves mais aussi les cépages circulent et ne sont pas la propriété de telle ou telle signe de qualité. A l’inverse, les terroirs sont la garantie de la spécificité d’un vin. Mais comment définir ceux-ci et leur impact sur le goût des vins ? Alors même que les vins de qualité se sont construits en France autour de cette notion de « terroir », sa définition reste très controversée (Garcia-Parpet 2004; Fourcade 2012; Teil 2012). Geneviève Teil s’est intéressée aux terroirs vitivinicoles dans le cadre d’une controverse au sein des AOC vis-à-vis de ce que doit être la qualité terroir d’un vin (Teil 2011). Elle montre que certains producteurs revendiquent une réinterprétation du terroir et de ce que ce dernier fait à la qualité des vins, sans le considérer comme un acquis. En suivant ces producteurs, elle montre comment leurs pratiques vis-à-vis du goût permet d’alimenter une idée d’un terroir imprévisible qui « se produit, s’apprend, se cherche, se découvre à plusieurs » (Teil, 2011, 447). Le terroir, en tant que concept sans cesse renouvelé, en train de se faire est également une piste que nous souhaitons suivre. Cependant, l’article oppose une version du terroir selon les producteurs, dont « l’existence est une évidence (…) mais [dont l’] expression dans les vins ne va pas de soi » (Teil, 2011, 445) et une version du terroir selon les sciences dites « objectives », qui « existe si il peut être isolé “objectivement“ » (Teil, 2011, 442). Cette opposition est esquissée à grands traits et nous aimerions questionner cette objectivation du terroir à partir des pratiques des œnologues. Cette communication vise à interroger le travail des œnologues sur et avec le « terroir ». Je montre que le rapport au terroir se construit dans des médiations qui ont lieu au cours de l’analyse sensorielle, et dans la mise en place de dispositifs techniques précis. Si la tentation des œnologues d’objectiver le terroir est forte, ce que notre étude révèle, ce sont tous les débordements qui participent également aux travaux de recherche portés par ces scientifiques et les façons dont ils les transforment en ressources dans la production de connaissance. Aborder le travail des œnologues par l’image du cadrage versus débordement développée par Michel Callon (Callon 1999) dans une retraduction des travaux d’Erwing Goffman (Goffman 1991) permet de ne plus considérer le terroir comme un ensemble de débordements que ces disciplines relègueraient à une sorte d’externalité négative – si on reprend le terme emprunté à l’économie –, à ne pas prendre en considération. Au contraire, les surprises et les éléments qui sortent du cadre préétabli permettent de renouvellement du rapport aux terroirs. Cela nous permet de renverser l’idée d’un cadrage comme norme : le cadrage n’est plus la norme, mais bel et bien « un résultat rare et coûteux » (Callon, 1999, 408). Nous verrons comment les scientifiques rencontrés prennent très au sérieux l’étude du terroir et s’interrogent sur leurs outils et pratiques pour l’analyser. A partir de l’exemple des rosés de Provence, j’analyserai les dispositifs mis en œuvre par les scientifiques qui permettent de faire ressortir les surprises concernant l’étude des vins et de leurs typicités. Le terroir n’est plus considéré comme un élément à définir et à objectiver par des indicateurs à stabiliser. Au contraire, il doit être pris en charge par les chercheurs et les participants aux dégustations, dans les débordements du goût. Les goûts du terroir sont alors pris en considération dans leur complexité et dans leur difficulté à se laisser stabiliser. En réalisant ce « tournant œnologique », c’est la compétitivité et donc la circulation de leurs vins qu’ils assurent. Cette communication se base sur une enquête menée entre avril 2016 et avril 2018 auprès d’un centre de recherche sur le vin rosé, en Provence. J’ai participé aux vendanges, à des dégustations, à des présentations en salon viticoles. J’ai mené une demi-douzaine d’entretiens semi-directifs. J’ai également mobilisé de la littérature grise combinant l’analyse des sites internet des organismes impliqués dans la commercialisation des Rosés de Provence et des articles publiés par ce centre de recherche. Tous ces éléments participent à la constitution du corpus de textes, d’entretiens ou d’observations participantes qui seront mobilisés pour cette communication.