La modélisation prédictive est un exercice scientifique qui est marqué par l’incertitude. Malgré la taille des bases de données disponibles, la qualité théories scientifiques permettant d’échafauder des modèles, et la puissance des outils informatiques aujourd’hui disponibles également, bien des phénomènes ne sont pas facilement prévisibles. Une des traductions de cette incertitude fondamentale est la coexistence, dans le même champ de modélisation, d’approches et d’outils complémentaires – ce qu’on peut appeler sommairement un « marché des modèles » . En matière de prédiction toxicologique, des méthodes statistiques de régression coexistent ainsi avec des systèmes-experts, de la prédiction par analogues, ou encore des outils d’apprentissage-machine . D’un point de vue épistémique, ces outils sont très différents les uns des autres : certains sont prédictifs, d’autres sont plutôt des outils de classification. L’organisation de leur développement est aussi disparate : ils peuvent être conçus par des sociétés commerciales ou par des instituts de recherche publics, et sont parfois issus de collaborations public-privé. Ils font cependant partie d’un même champ de modélisation, au sens où on peut distinguer une population d’organisations qui se consacrent, au cours du temps, au développement de ces outils et à leur perfectionnement. Dans cette communication, on cherchera à mieux comprendre les acteurs qui développent ces outils, et ce que recouvre cette organisation de leurs relations sous la forme d’un marché. Quel lien peut être établi entre la ou les orientations épistémiques dominantes de la prédiction toxicologique, et les relations de concurrence qui existent entre ceux qui les imaginent ? On développera notamment l’idée ces acteurs et outils sont liés les uns aux autres par un système de comparaison et d’évaluation de la qualité des prédictions, organisés par les instituts de recherche publics au nom d’un impératif de transparence, de crédibilité et de fiabilité des connaissances pour l’action publique envers les problèmes de toxicité. En mettant au centre de l’analyse les formes épistémiques dominantes de la prédiction, on peut ainsi montrer une forme d’enchevêtrement entre logique marchande – c’est-à-dire de concurrence entre modélisateurs – et logique d’action publique. L’analyse s’appuie sur une enquête approfondie auprès d’une quarantaine de concepteurs, utilisateurs et évaluateurs des logiciels de prédiction utilisés en Europe pour la réglementation des des produits chimiques.