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Chapitre D'ouvrage Année : 2021

Nature, l’impossible ailleurs

Thierry Hoquet

Résumé

Nature, l'impossible ailleurs Levons la tête vers le ciel. Il y a encore fort peu, une grosse centaine d'années de cela, l'humain était cloué au sol. Seuls quelques illuminés rêvaient de machines volantes. Et les plus sages d'entre nous nous rappelaient à la raison : l'humain n'est pas fait pour voler. Le mythe d'Icare incarnait ce déchirement: notre désir fou de nous arracher à la Terre, et le prix à payer pour cela, peut-être de notre vie. Encore récemment, un scientifique britannique pouvait déclarer brutalement : « space travel is utter bilge. Le voyage dans l'espace, c'est du bluff pur et simple. » 1 D'autres, plus conservateurs encore, ajoutaient que si jamais l'humain parvenait à réaliser son rêve, il en résulterait sans doute de grands malheurs pour l'humanité tout entière, car quelque chose dans l'ordre providentiel du monde se trouverait définitivement rompu. De même, si les humains trouvaient la pierre philosophale et savaient tourner le plomb en or, toute valeur ne s'effondrerait-elle pas ? Nous pouvions rire de ces craintes, mais aujourd'hui, la perspective d'un « dérèglement climatique », les pandémies à répétition que les humains transportent plus facilement dans leur monde globalisé…-tout cela semble conforter et renouveler les positions des réactionnaires soucieux de tenir les humains à leur place : à l'humain reviendrait un rôle bien déterminé, celui d'usager et non de « maître et possesseur de la nature ». Hier comme aujourd'hui et demain, malheur à quiconque prétendrait sortir de sa place, échapper à sa condition. Longtemps, donc, l'humain ne sut pas voler et se borna à regarder le ciel et les nuages comme une profonde source d'inspiration. « Nuages, merveilleux nuages… » disait encore Baudelaire. À la fin du XIXe siècle, la philosophie de Pascal et celle de Kant restaient encore valables : « le silence des espaces infinis » effrayait encore, « le ciel étoilé au-dessus de nos têtes » avait quelque chose de transcendant, incarnation d'une inflexible puissance morale. Tout le malheur de l'humain tenait de ne pas savoir tenir en repos dans une chambre et l'on pouvait faire sa promenade tous les soirs à heure fixe. Et puis l'on a volé. Et en un instant tout a changé. Fut soudain rompue l'antique fatalité qui nous engluait dans la glèbe. Mais réalisant notre rêve aérien de voltiger dans le ciel avec la légèreté des oiseaux, nous acquîmes surtout une puissance de destruction incomparable. Le futurisme italien enregistra ce vertige et cette nouvelle esthétique militarisée. Étonnamment, celle-ci se fait entendre jusqu'à aujourd'hui, à travers le cinéma japonais de Miyazaki Hayao qui en a fait le thème d'une réflexion mélancolique. « Le vent se lève, il faut tenter de vivre », dit-il après Paul Valéry, dans un film hanté des aéronefs fantasques de Giovanni Battista Caponi, mais aussi de « stukas » et de « zéros ».
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  • HAL Id : hal-04460698 , version 1

Citer

Thierry Hoquet. Nature, l’impossible ailleurs. Laura Bossi (dir.). Les Origines du monde. L’invention de la nature au XIXe siècle [Exposition Paris, Musée d’Orsay, 10 novembre 2020-14 février 2021], Gallimard; Musée d'Orsay; MNHN, pp.348-351, 2021. ⟨hal-04460698⟩
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