Jusqu’au début du siècle dernier, était octroyé au processus de la colonisation grecque à l’époque archaïque un pouvoir “civilisateur”, ayant transformé tous les aspects de la vie des communautés occupant le pourtour de la Méditerranée occidentale aux VIIIème et VIIème siècles av. J.-C. L’idée d’un “rayonnement” de la culture grecque participa, notamment pour le sud de l’Italie, à l’entérinement d’une indifférence scientifique – mais également institutionnelle et publique – à l’égard des sites archéologiques situés en “périphérie” des premiers établissements coloniaux grecs. Ce désintérêt se voit partiellement nuancé depuis le début du XXème siècle, notamment grâce aux découvertes de riches nécropoles du premier âge du Fer, soulignant la prospérité matérielle des communautés locales. L’étude des structures bâties découvertes sur les sites d’habitat ou de culte demeure, quant à elle, très rare pour l’époque, induisant alors un lourd problème de représentativité de la diversité des matériaux et techniques en usage dans les architectures de l’époque archaïque. La recherche se confronte à deux problèmes majeurs, expliquant cette lacune dans la documentation. Le premier est le poids fort de cette tradition académique dite “classique” que nous venons d’évoquer et qui, en plus d’avoir montré un faible intérêt pour aux contextes non coloniaux, replaça longtemps l’évolution des plans et techniques de construction dans un schéma positiviste et linéaire, dalla capanna alla casa. Les architectures locales, considérées alors comme des “cabanes rudimentaires” sont fréquemment évoquées sans être analysées, puisque leurs descriptions succinctes ne servent qu’en tant que supports de comparaison évolutionnistes avec les architectures “à caractère grec” – i.e. répondant à des caractéristiques structurelles spécifiques telles qu’une morphologie rectangulaire, des fondations de pierre et une élévation maçonnée en brique – qui semblent apparaître au VIIème siècle av. J.-C. en Italie méridionale. La seconde difficulté expliquant la jeunesse des études sur les architectures du premier âge du Fer sur ces territoires est, sans nul doute, d’ordre méthodologique : en effet, si d’un côté les constructions en matériaux périssables laissent peu de traces, de l’autre, l’absence de grands décapages archéologiques avant les années 1970-1980 en Italie a considérablement compliqué la lecture des architectures locales,alors comprises uniquement sous le prisme étriqué de sondages et tranchées limités. Si, en 1926, déjà, D. Ridola pointait du doigt la nécessité de mener des analyses systématiques sur les restes de terre à bâtir, il faudra attendre le développement des études sur les architectures sur poteaux porteurs – initiées par la recherche pré et protohistorique dans la seconde moitié du XXème siècle – pour sortir d’un discours primitiviste associant invariablement les techniques de construction liées au matériau terre à des architectures non pérennes. Depuis le début des années 1980, l’intégration des réflexions sur les architectures locales au sein de la recherche sur les zones de rencontre entre Grecs et indigènes au premier âge du Fer devient fréquente, mais le lent développement des recherches thématiques italiennes sur les matériaux périssables a provoqué l’enracinement de confusions dans les termes utilisés pour catégoriser la terre à bâtir et ses mises en oeuvre. Les termes de “pisé”, “torchis” et “adobe” sont fréquemment utilisés en italien en tant que synonymes de terre à bâtir, tandis que ces choix lexicaux impliquent un distinguo interprétatif majeur. Ces fréquents amalgames qui ponctuent les publications italiennes obscurcissent, encore aujourd’hui, notre compréhension des techniques de construction en usage aux VIIIème et VIIème siècles av. J-C.La littérature grandissante sur le bâti protohistorique d’Europe continentale comme méditerranéenne nous fournit un cadre méthodologique primordial pour la catégorisation scientifique des gestes techniques liés à la construction en terre, nous invitant ainsi à opérer une reprise importante des données archéologiques issues des travaux de recherche portant sur la Calabre, les Pouilles et la Basilicate. Ces régions, faisant traditionnellement partie de la “Grande-Grèce”, sont caractérisées par une grande diversité architecturale, résultat d’une évolution des techniques impulsées à la fois par des stimuli internes et des influences externes. Nous reviendrons ainsi dans les lignes qui suivront sur différents exemples choisis de sites – comme Incoronata, Torre di Satriano (actuelle Basilicate) et Timpone della Motta (Calabre) – nous permettant de développer nos connaissances sur les traditions de construction locales, où le matériau terre – utilisé seul, ou avec adjuvant, cru, ou cuit – jouait un rôle majeur, qu’il soit mis en oeuvre massivement, en garnissage ou au sein d’éléments moulés.