Dans 2666 Roberto Bolano a cherché à rendre compte du féminicide de masse ayant lieu depuis les années 1990 dans le désert du Sonora. La violence extrême de ces événements compose alors, selon les aveux de l’auteur lui-même, comme un « centre caché » du récit, dissimulé derrière son « centre physique » qu’est la ville de Santa Teresa. Par cette formule, nous pensons que Bolano reconnaît l’impossibilité d’un abord frontal d’une telle horreur, rendant nécessaire la structuration son œuvre en un ensemble de variations autour de la ville de Santa Teresa. Les différentes parties du roman, dans un isolement relatif, font alors le récit de personnages européens, sud-américains ou états-uniens, gravitant les uns après les autres autour de ce centre mystérieux afin de dévoiler par approches successives de nouvelles strates de sa violence. Notre communication entend alors interroger un triple mouvement animant la totalité de l’œuvre. D’une part, un mouvement de « désublimation » selon lequel les formes initialement euphémisées de violence (luttes universitaires et académiques dans « La partie des critiques ») laissent progressivement place à une violence réelle et physique. Ce mouvement de « désublimation » est accompagné, tout au long de l’œuvre, par un mouvement que l’on pourrait qualifier d’antimétalepse dans la mesure où les frontières de la fiction tendent à s’éroder au profit du réel, comme en témoignent la quête de l’écrivain Archimboldi s’ouvrant sur la découverte de Santa Teresa ; ou encore le ready-made de « La partie d’Amalfitano » où un livre accroché à une corde à linge fait l’expérience de la violence élémentaire. Nous souhaiterions alors montrer comment ce double mouvement ne parvient à progresser que par une série de variations rendue possible par l’éclatement du récit en une pluralité de « parties ». Certains éléments diégétiques subissent en effet d’importantes reprises textuelles à travers les cinq parties, afin de gagner peu à peu toute leur ampleur. C’est le cas par exemple de la voiture noire dont la corrélation avec les meurtres devient, avec chaque partie, de plus en plus apparente. Plus largement, notre attention se portera sur le parallèle existant entre « La partie des critiques » et la « Partie des meurtres ». Chacune de ces parties fait le récit de la même décennie des années 1990, la première en Europe, et la deuxième au Mexique. Dix années d’enquêtes intellectuelles dans un monde de paix européen, révèle alors comme leur envers, dix années de violence sud-américaine. Ainsi, nous espérons pouvoir montrer comment la variation apparaît, dans le roman de Bolano, comme la voie d’accès à la violence latente de l’histoire.