Sur le terrain plus classiquement politique de la participation au mouvement « Nuit Debout », place de la République à Paris, A. Bidet et C. Gayet-Viaud montrent comment l’adoption d’une perspective expérientielle permet de déplacer l’analyse souvent admise, en particulier à propos de l’échec et de la stérilité supposés du mouvement. L’analyse, adossée à la fois aux questionnaires distribués sur la place, aux observations menées pendant le printemps 2016 et aux entretiens approfondis conduits ensuite à distance de celui-ci, met l’accent sur l’enthousiasme et l’effervescence collective, l’enrichissement personnel biographique et la formation proprement politique (en termes de contenus thématiques aussi bien que de façons de faire et de parler, et d’enrichissement des imaginaires sociaux et politiques) que cet événement a produits chez ses participants. L’entrée par l’expérience, loin de se confiner au présent instantané de sensations fortes, ouvre à une pluralité de temporalités enchevêtrées dans l’engagement. Au sein de Nuit Debout, trois principales modalités temporelles sont identifiées, qui correspondent à autant de dimensions de l’engagement : premièrement, une dimension d’exploration et d’expérimentation faites in situ, dans le temps ouvert et indéterminé du mouvement en train de se créer, sur la place, qui s’éprouve comme une expérience marquante immédiate, pour laquelle participer c’est chercher ce qui peut s’inventer ensemble, dans un ici et maintenant aux horizons prometteurs et incertains. Un deuxième plan élargit le spectre et permet de saisir le moment comme une occasion de vivre, à l’échelle biographique, un genre d’expérience, et un type d’apprentissage, plus ou moins inédit, dont le désir était latent. L’engagement fait alors de ce moment l’opportunité d’une enquête personnelle sur la place à donner à celui-ci dans sa propre existence, les possibilités et les manières de s’engager qui peuvent être assumées, ajustées. Enfin, à un troisième niveau, on trouve une interrogation collective relative à l’engagement qui convient, manifeste dans les échanges sur la place aussi bien que dans les réflexions après-coup, et où se donne à voir l’activité directement et expressément réflexive vers laquelle le rassemblement s’est largement tourné : les débats et conflits ont porté – au point d’en faire un objet public – sur les possibilités même de l’engagement politique, l’articulation entre ses moyens et ses fins, le traitement des adversaires, la gouvernance, les « causes » apparentées, les suites à donner, etc.