Diverses conditions améliorent la fluence de personnes qui bégaient, comme le fait de suivre un autre patron rythmique : par exemple en parlant de façon isochrone (Brady 1969; Hanna & Morris 1977; Hutchinson & Navarre, 1977; Kalinowski et al., 2000), en chantant (Perkins et al., 1976; Healey et al. 1976; Glover et al. 1996; Falk et al. 2016) ou en suivant la voix d’autres personnes (Adams & Ramig, 1980; Kalinowski et al., 2000; Ingham et al. 2006).L’objectif de cette étude est de mieux comprendre l'effet positif de ces stimulations rythmiques externes, et d’examiner l’hypothèse qu'elles viennent pallier chez les personnes qui bégaient des difficultés à séquencer leur parole en suivant un patron prosodique complexe. Pour cela, nous avons comparé la production de mêmes énoncés de sept syllabes (e.g. "Pattie passa la pagaie") par des personnes qui bégaient (PQB, N=16) et des personne normofluentes (PNF, N=16) dans six conditions expérimentales : naturellement, sans contrainte rythmique (REPEAT) ; en synchronisant chaque syllabe avec un métronome audio de 120 BPM (ISO_SYNC_120), de 240 BPM (ISO_SYNC_240), et avec deux séquences non isochrones (NONISO_SYNC_1 et NONISO_SYNC_2) ; en suivant une séquence rythmique apériodique imprédictible (REACT). Nous avons mesuré l'intensité acoustique, la fréquence fondamentale (f0, en demi-tons) et la durée de chaque syllabe.Comme dans plusieurs études antérieures (Arbisi-Kelm, 2005; Bergmann, 1986; Franke et al., 2020), les PQB ont montré des différences significatives par rapport aux PNF dans la réalisation prosodique de leurs énoncés "naturels" (variations réduite de f0 et de durée syllabique ; variations d'intensité plus marquées), tout en respectant le patron prosodique du Français – caractérisé par des excursions de f0 et des allongements syllabiques en fin de groupes accentuels et intonatifs (Jun & Fougeron, 2000). Chez les PQB comme les PNF, la parole produite en suivant un rythme externe montre des variations de la f0 et de l'intensité de leurs syllabes par rapport à la parole "naturelle", mais qui continuent néanmoins de suivre le même patron prosodique. Dans les deux groupes , la durée syllabique est davantage influencée par la stimulation externe: elle tend à devenir quasi isochrone pour un métronome rapide, et à suivre la durée des notes d'une séquence non-isochrone.On note que certaines conditions (REACT, ISO_SYNC_240) contribuent à réduire les différences observées entre PQB et PNF, ce qui pourrait expliquer leur effet bénéfique sur la fluence des PQB. Cependant, une telle convergence entre PQB et PNF n'est pas observée dans la condition ISO_SYNC_120 où les disfluences sont pourtant les plus réduites.Dans leur ensemble, ces différents résultats infirment l'hypothèse que les personnes qui bégaient présentent un trouble majeur de planification de leur prosodie, qu'une stimulation rythmique externe pallie en remplaçant le patron prosodique complexe par un patron rythmique plus simple.