En haine de l’Occident : quelques réflexions sur l’imaginaire anti-occidental - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2007

En haine de l’Occident : quelques réflexions sur l’imaginaire anti-occidental

Philippe Zard
Jean-Paul Rosaye
Charles Coutel
  • Fonction : Directeur scientifique

Résumé

L’article s’ouvre sur une paraphrase de la nouvelle « L’Européen » de Hesse, puis sur quelques considérations sur la « monstruosité » imputée à l’Occident moderne par certains de ses détracteurs : alliance périlleuse d’une « raison bourgeoise étriquée » et d’une « démesure prométhéenne » (Dostoïevski), « dislocation des valeurs » (Hermann Broch), crise de la Tradition chez un René Guénon, pour qui l’Occident est « la seule civilisation qui ne reconnaît aucun principe supérieur, qui n’est même fondée en réalité que sur une négation des principes ». Particulièrement troublante pouvait paraître la parenté – par-delà tout ce qui les sépare politiquement – de l’incrimination, par Guénon et Broch, de l’humanisme de la Renaissance et surtout du protestantisme : « L’humanisme constituerait moins un avènement qu’une humiliation métaphysique, dans la mesure où il jaugerait l’ensemble du problème humain à l’aune d’un rationalisme étriqué. Quant à la Réforme, elle porte la double responsabilité d’avoir rompu l’unité hiérarchique et mystique de l’Église et d’avoir introduit dans la tradition le funeste principe du “libre examen”. Deux fautes qui procèdent, du reste, d’une même source : l’individualisme ». Après le survol cavalier de ces trois « antimodernes », l’article développe – sans guère de transition – quelques mythes susceptibles d’éclairer cette occidentalophobie : le mythe de Babel dans son articulation à Babylone la dépravée ainsi que le motif du déracinement (ou de l’exil) occidental (qui avait été au centre de ma lecture du Disparu de Kafka). S’énonce alors l’hypothèse axiale de l’article, à savoir que « l’une des sources de l’hostilité à l’Occident tient à une ambivalence à l’égard de ce processus de déliaison impliqué dans l’occidentalisation. Cette déliaison – partout repérée –, nous l’interpréterons principalement comme une coupure généalogique, comme la négation même de la filiation et de l’héritage. » En avançant que les « grands mythes occidentaux sont d’abord des mythes de révolte contre le Père », en m’appuyant également sur des analyses anthropologiques et historiques concernant des parricides fondateurs (Lynn Hunt et son travail sur Le Roman familial de la Révolution française, Erich Fromm, Pierre Legendre), je m’aventure dans quelques spéculations : « La haine ou le rejet de l’Occident moderne sont essentiellement animés par la relation de peur et d’envie que suscite le meurtre du Père et la mise à mort de la Loi. Quand l’Occident est haï, c’est en tant qu’il a accompli la profanation ultime, tout à la fois désirée et angoissante ; nous sommes à l’égard de l’Occident comme les frères Karamazov devant le meurtre commis par Smerdiakov : qui n’a jamais voulu tuer son Père, en finir avec la Loi ? Qui n’a jamais eu peur de tuer le père ? » Reprenant quelques-uns des éléments de La Fiction de l’Occident, où j’avais distingué entre un principe identitaire (appelé « Europe ») et une dynamique exilique (appelée « occidentalisation »), j’avance ainsi que « l’histoire de l’Occident n’est pas uniquement l’histoire d’une dynamique de rupture, d’un affranchissement, mais aussi, comme par un choc en retour, d’une série de sédimentations identitaires ou axiologiques », lesquelles cependant « sont, par nature, vouées à la crise (et à la critique) [...] En promouvant, politiquement, le principe démocratique et, philosophiquement, le principe du libre examen et de l’émancipation (possibilité et légitimité de la négation des principes), l’Occident a à la fois trouvé la formule de son triomphe et celle de sa précarité ». De là cette idée que le « rejet de l’Occident » vient aussi d’un doute qui habite cette civilisation quant à la viabilité et la consistance de son propre modèle anthropologique : « l’Occidental se sent à son tour pris de vertige devant le surgissement possible, dans sa propre culture, d’un horizon nihiliste, sous une forme consumériste ou technicienne – horizon hyperindividualiste de la monade et du nomade ». De là, aussi, l’idée que « l’Occident est, en même temps qu’une civilisation arrogante, la plus encline à l’autocritique – vertu prompte à dégénérer en autodénigrement, en masochisme, en honte ou en haine de soi », haine de soi sur laquelle peut aisément prospérer la haine de ses ennemis déclarés – d’autant que, mondialisation aidant, « le discours anti-occidental, aujourd’hui » est aussi « à comprendre comme un discours dirigé contre l’Occidental qu’on porte en soi. » Les derniers mots de cet article cherchent à récapituler ce qui en a construit l’intention politique, sur un ton qui m’apparaît aujourd’hui inutilement sentencieux : « L’Occident est paradoxalement une civilisation dominante et une civilisation complexée, fondée sur le désaveu d’elle-même. Sans doute n’est-ce pas le moindre des périls que de voir un jour converger ces deux dynamiques de rejet de l’Occident, l’une fondée sur l’accusation, et l’autre sur l’autocritique. La force n’est pas toujours là où l’on croit et, malgré sa puissance politique, économique et technologique, l’Occident – comme la démocratie – est ontologiquement faible, miné par un scrupule originaire. Il nous revient de savoir quel usage nous devons faire de cette puissance – le sens que nous entendons librement lui donner –, mais il nous incombe aussi de savoir estimer et protéger cette faiblesse ».

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Dates et versions

hal-04368307 , version 1 (31-12-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04368307 , version 1

Citer

Philippe Zard, Jean-Paul Rosaye, Charles Coutel. En haine de l’Occident : quelques réflexions sur l’imaginaire anti-occidental. Les Sens de l’Occident, Artois Presses Université, pp.51-68, 2007, 2848320508. ⟨hal-04368307⟩
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