Puisqu’il est temps d’…en finir avec le matriarcat breton, il nous faut revenir aux sources et étudier la condition des femmes bretonnes à travers, par exemple, l’évocation de leurs cheveux dans la littérature populaire. La coiffe de la femme et le chapeau de l’homme y représentent les deux bords d’une ligne de démarcation mystique qui semble infranchissable et les proverbes n’évoquent leur réunion sur la même tête que pour mieux en rire. Les contes, complaintes et chansons nous disent ces cheveux que l’on ne saurait voir, sinon dans un monde merveilleux ou marginal : blondes princesses qui peignent leurs cheveux près d’un château, sur une île au milieu de la mer, aventurières prêtes à se battre en cheveux ou encore, femmes perdues qui ne craignent pas de souiller leur coiffe. L’acculturation qui menace au XXe siècle provoque un glissement symbolique et la production de nouveaux textes. La coiffe devient minoritaire, comme la langue, et toutes deux sont un temps considérées comme les attributs essentiels de la « Gwir Vreizhadez » (la vraie Bretonne) qui doit refuser le chapeau, le fichu et les cheveux courts. Cet article présente comment la littérature populaire bretonne a essayé d’ordonner les cheveux des femmes et, par la même occasion, le monde. Mais cet espace imaginaire, ouvert sur une société qu’il a fallu construire, entretenir, voire sauver, a travaillé, en retour, la langue et les textes. Pouvait-on écrire autre chose que des disputes, des pamphlets pour parler des cheveux des femmes ? Pouvait-on trouver les mots pour dire la chose puisque la beauté du cheveu était cachée ? Comment suggérer la puissance érotique des cheveux à une communauté d’auditeurs et de lecteurs plus habitués à entendre rabrouer les coquettes et moquer les cheveux durs et laids de Guillemet ar Gouilhouren (Guillemette la souillon) ? Ces quelques questions, sur un sujet qui n’est pas futile, guident cette réflexion sur le champ littéraire breton.