Portrait de l’artiste en morceaux. La fragmentation du réel dans Les Carnets de Malte Laurids Brigge - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2002

Portrait de l’artiste en morceaux. La fragmentation du réel dans Les Carnets de Malte Laurids Brigge

Philippe Zard
Marine Ricord
  • Fonction : Directeur scientifique
  • PersonId : 1153226
  • IdRef : 057705526

Résumé

« Portrait de l’artiste en morceaux » – proposé à l’occasion d’un colloque sur le « détail » organisé à l’Université d’Amiens par Marine Ricord – se saisit de la notion de détail dans ses trois acceptions majeures (fragment, particularité, vétille) pour éclairer le projet esthétique des Carnets. Il s’agit d’abord, en prenant exemple sur des artistes (Rodin, Cézanne) et des poètes (Baudelaire, essentiellement) d’“apprendre à voir” sans faire “ni choix ni refus” dans le réel, y compris dans ce qu’il a de plus éprouvant : « Le sens du détail est ici investi d’une valeur existentielle : celle d’une épreuve qualifiante qui prouve au personnage qu’il dispose de ce “courage de luxe” d’aller jusqu’au bout du défi que représente, pour l’esprit, “l’existence du terrible dans chaque parcelle de l’air”. Il faut donc être prudent avant de classer l’œuvre de Rilke dans la veine décadente et “fin de siècle” : la propension au détail sordide est à replacer dans le cadre d’un projet de dépassement de “la peur” et d’un face-à-face lucide avec le monde ». Cet apprentissage passe notamment par la traversée des représentations conventionnelles et la perception de la singularité, du détail qui exprime la quiddité de l’objet. Dans l’épiphanie du marchand de journaux aveugle, ce n’est pas la beauté du monde, mais « l’incongruité insondable du réel », « l’arbitraire facticité » qui ouvre à une révélation : « Le détail est ici cette chose unique (Einzelheit) qui révèle ce que la réalité a d’unique : tous les realia sont des unica. C’est en ce qu’il ne renvoie à aucun sens déjà là que le regard a servi à dessiner négativement le pressentiment du divin. Dieu, autant que le diable, est dans les détails » (434). L’analyse se poursuit sur un autre aspect du détail chez Rilke : celui qui l’associe, à rebours des analyses précédentes, à une « ontologie spécifiquement féminine » que le poète doit également apprendre à faire sienne : « Le propre du détail féminin, chez Rilke, serait alors – bien au-delà d’une fonction étroitement ornementale, superficiellement décorative – d’en appeler à une vision résolument immanente de la création : celle d’un infini enclos dans les limites d’un corps ou d’un objet, d’une personnalité artistique entièrement contenue et abolie dans son œuvre ». Si le détail « féminin » est infailliblement « lié à un imaginaire de la complétude », le détail masculin semble presque toujours accompagner « des expériences de désintégration ». C’est sur l’image de ce « réel en miettes » que s’achève l’analyse : obsession de la mutilation, du corps désarticulé des épaves. Si le « détail dit le réel, il dit aussi la mort, la limite et le démembrement », y compris celui de la parole : « Le moi n’y apparaît que comme un équilibre précaire, comme une fragile fiction mentale, constamment menacée de se perdre dans le désordre fragmenté qu’il explore en lui et hors de lui ».

Domaines

Littératures
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-04365037 , version 1 (27-12-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04365037 , version 1

Citer

Philippe Zard, Marine Ricord. Portrait de l’artiste en morceaux. La fragmentation du réel dans Les Carnets de Malte Laurids Brigge. Le parti du détail - Enjeux narratifs et descriptifs, Lettres modernes/Minard, 2002, Etudes romanesques, 2-256-91038-5. ⟨hal-04365037⟩
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