Don Juan dégénéré ? Enjeux du mythe de Don Juan dans Les Irresponsables d’Hermann Broch - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Roman 20/50 Année : 2000

Don Juan dégénéré ? Enjeux du mythe de Don Juan dans Les Irresponsables d’Hermann Broch

Philippe Zard

Résumé

Le Don Juan dégénéré des Irresponsables est la principale source d’unité formelle autant que le sésame de roman d'Hermann Broch composé de « nouvelles » initialement indépendantes, rédigées entre 1917 et 1933 et retravaillées dans l’après-guerre. Comme dans Les Somnambules et dans Le Tentateur, l’enquête romanesque et philosophique de Broch cherche à saisir les raisons d’un effondrement des valeurs qui a pavé la voie au national-socialisme. L’article, après avoir exposé le dispositif de réécriture, met au premier plan la question de la génération, au sens générationnel et génératif du terme, « clé imaginaire et idéologique du récit » qui permet au théoricien de la « dégradation des valeurs » de « s’interroger à nouveau sur l’aptitude d’une communauté à produire les conditions spirituelles de sa survie. » La succession des deux générations de Don Juan (von Juna, l’amant de Zerline, et Andreas le protagoniste du récit-cadre) consacre la dégénérescence du modèle mythique : le donjuanisme n’est plus que le signe d’une déficience morale, où la faillite du désir accompagne l’obsolescence de la loi. « Fable sur les dérèglements du désir (désir aliéné de Zerline, désir perverti de von Juna, désir aboli d’Andreas), sur l’obscurcissement de la Loi et la crise de la tradition (comme transmission et filiation, héritage et engendrement) », le roman décrit aussi la fuite devant le nom propre, c’est-à-dire la généalogie et la responsabilité. Andreas est à sa manière un « homme sans nom », mais « ce qui était, dans le mythe d’origine, refus souverain d’entrer dans l’ordre symbolique de l’engendrement [...] dégénère ici en impuissance névrotique à sortir de l’enfance ». Le donjuanisme est le doublon érotique de la démission politique du petit-bourgeois « irresponsable » ou « innocent » qui prépare l’avènement de la terreur politique : « le “fatalisme apeuré” d’Andreas, le grand bourgeois oisif, sa paralysie morale devant toute décision, son “indifférence générale” ouvrent la voie au nihilisme actif du futur nazi. Les Irresponsables invitent à penser la connivence imprévue entre la médiocrité bourgeoise et les vertiges apocalyptiques du IIIe Reich. » Broch croyait aux ressources des mythes, et si sa réécriture de Don Juan consacre la faillite conjointe des pères et des fils, l’écrivain ne semble pas moins restaurer in fine, à travers la figure de « l’apiculteur » (père de la jeune fille qu’Andreas a conduite au suicide), une imago paternelle positive. Mais si la « pierre » dont est faite ce nouveau Commandeur est un « diamant », elle n’est la promesse d’aucun ordre à venir : « Le sublime d’un vieillard hors de l’Histoire et la mort librement consentie d’un Don Juan à bout de souffle ne suffisent pas à donner corps à ce réarmement moral dans lequel le romancier voyait la seule réplique plausible » à la décomposition morale du monde.

Mots clés

Domaines

Littératures
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-04365005 , version 1 (27-12-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04365005 , version 1

Citer

Philippe Zard. Don Juan dégénéré ? Enjeux du mythe de Don Juan dans Les Irresponsables d’Hermann Broch. Roman 20/50, 2000, juin 2000 (29), pp.107-116. ⟨hal-04365005⟩
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