Il est questions d'écritures de devenir au verger, ce lieu de proximité durable entre espèces, en même temps un topos littéraire vieux comme le complexe agraire de la poésie et là où se cultivent des arbres fruitiers. J’y suivrai des trajectoires de devenir se façonnant à travers la violence, la mort et la nuit, dans un corpus d’écrits contemporains s’inscrivant de façons diverses dans l’espace entre la poésie et la fiction. D’abord, la poésie narrative de la poète uruguayenne Marosa di Giorgio, où le Je poétique épouse la perspective de la proie dans un verger violent où il s’agit de devenir l’autre plutôt que soi. Ensuite, dans les vers du Livre des vivants, fragments poétiques qui performent un devenir collectif au verger dans la série de science-fiction des Paraboles d’Octavia E. Butler. Et enfin, dans le roman fragmentaire Maison de jour, maison de nuit, où la romancière polonaise Olga Tokarczuk bascule la narratrice dans une réalité altérée où elle devient autre, se métamorphosant par et dans un verger nocturne. Le prisme par lequel je propose de lire ces écritures du devenir est celui de la sympoïèse, un néologisme forgé par la théoricienne critique californienne Donna Haraway dans son livre de 2016 Habiter le trouble. Faire des parents dans le Chthulucène. La sympoïèse élargit les pensées de la symbiose et de la symbiogénèse défendues par la grande biologiste Lynn Margulis, qui s’est attachée à montrer comment des changements évolutifs sont générés par la proximité physique durable partagée par des vivants, et ce de l’échelle microscopique jusqu’à celle de la planète. La sympoïèse pointe la perspective d’un « faire-avec » co-signé d’autrices et d’auteurs dissemblables jusque dans leur appartenance d’espèce et de règne. Haraway écrit que la sympoïèse est un « joug pour devenir ensemble », et dans la logique additive de ses énumérations joyeuses, elle ajoute souvent le vocable de « devenir » au « faire » de la sympoïèse, comme pour dire que cette dernière est un processus vital qui engage la vie (et la mort) et ne garantit pas de garder la même forme. L’écriture d’un devenir sympoïétique pose la question de la récupération et du détournement du vieux mythe fécond de l’odyssée, qui trace l’émergence d’une individualité en quête d’une appartenance propre et au monde. La sympoïèse supplante cette autopoïèse, qualifie un devenir où la transformation engage la pluralité et le mélange plutôt que la singularité et la séparation. Je vais donc penser des dynamiques de devenir tournés vers l’autre plutôt que vers soi : devenir l’autre dans Historique des violettes de Marosa Di Giorgio, devenir avec les autres dans la série des Paraboles d’Octavia E. Butler, et devenir autre, s’altérer dans Maison de jour, maison de nuit d’Olga Tokarczuk.