À la fin des années 1960 puis durant les années 1970 en Allemagne et en Autriche, les femmes artistes investissent particulièrement la photographie en tant que forme artistique, principalement pour proposer des autoportraits critiques, nus ou dénudés, afin d’utiliser leur corps tant comme un matériau de création artistique qu’un outil discursif. Confrontées à une histoire de l’art mais aussi à un modèle sociétal, dans lesquels le corps féminin érotisé imprime différentes formes de domination patriarcale, des performeuses comme Valie Export, Ulrike Rosenbach ou Birgit Jürgenssen détournent les canons esthétiques de l’érotisme vu à travers le regard masculin pour en déconstruire les mythes sous-jacents. En effet, montrer la part la plus intime de soi dans l’espace public voire institutionnel, c’est alors poser un acte militant qui mette en scène le slogan féministe selon lequel « le privé est politique ». Le corps et son potentiel érotique est alors utilisé comme une arme à même de transformer les mentalités. Le body art évolue ensuite vers l’émergence d’un female gaze qui propose une nouvelle perspective sur l’érotisme, cette-fois lorsque l’artiste en position de domination sur son modèle est une femme. Comment celle-ci perçoit-elle le désir sexuel et quels nouveaux canons esthétiques et érotiques se mettent en place ? Ces dernières années en Allemagne, deux expositions ont notamment abordé cette problématique, d’une part Erogenous zone en 2013 (Galerie am Körnerpark, Berlin) qui explorait les multiples zones érogènes à travers divers matériaux artistiques, et en 2019 In the Cut – der männliche Körper in der feministischen Kunst - le corps masculin dans l’art féministe (Stadtgalerie, Saarbrucke), qui interrogeait la réification du corps désirable, au-delà des stéréotypes de genre, notamment en détournant les objets et les matières communément associés à l’érotisme et en utilisant le corps masculin comme terrain de créativité sensuelle. En s’appuyant sur les oeuvres d’artistes contemporaines germanophones, telles Renate Bertlmann, Friederike Petzold et Paula Winkler, cet article étudiera quelle bascule opère l’art contemporain dans l’évolution de l’art féministe. En effet, dans les années 1970, il s’agissait avant tout de décrypter la « performativité du genre » (Judith Butler) qui cantonnaient les femmes notamment à la sphère de la relation intime, exposer publiquement son corps tout en détournant les codes artistiques visait une prise de conscience du processus d’essentialisation de la femme. Depuis une dizaine d’années, les combats du féminisme actuel, qu’on détermine comme « troisième vague » et intersectionnel, se caractérise plutôt par une volonté de convergences des luttes de toutes les minorités opprimées, en mettant notamment l’accent sur les identités queer. Comment ces photographes déconstruisent-elles la mécanique du désir, sous-jacente au corps-objet, pour envisager celui-ci dans une perspective transhumaniste libératrice et imaginer de nouvelles dynamiques érotiques post-genrées ? Dans ce cadre, j’analyserai enfin dans quelle mesure le corps masculin érotisé sous le regard des ces femmes photographes participe d’une révolution des genres en jouant avec les stéréotypes de l’univers érotique, et de la mise en place d’un spectre plus élargi de sexualités, au-delà des codes hétéronormés.