Alors que les enfants représentent un tiers des urbains dans le monde (UNICEF, 2012), ils ont longtemps été laissés de côté par la recherche en sciences sociales pour discuter des enjeux contemporains de nos sociétés et de nos villes. Pourtant, les enfants sont des acteurs sociaux (Chombart de Lauwe, 1990) au même titre que les adultes, ils partagent le quotidien et les espaces du reste de la société. À partir de cette considération, il devient intéressant de considérer leurs expériences pour comprendre les mutations des espaces habités. Dans le champ spécifique des Children’s Studies, les transformations de l’expérience urbaine des enfants ont principalement été abordées par la question du recul de leur présence dans les espaces publics. Si autrefois, les enfants jouaient librement un peu partout dehors, ils vivent aujourd’hui un « long processus d’enfermement » (Ariès, 1960) dans des espaces dédiés, domestiques, ou privés. Les craintes et la gestion des risques sont des facteurs structurants de l’expérience des plus jeunes qui limitent la pratique, du moins autonome, de l’extérieur (Rivière, 2016). Ce recul des activités en extérieur s’accompagne d’un allongement des temps dédiés aux activités intérieures, comme les divertissements numériques (Loebach et Gilliliand, 2016) ou encore du développement de lieux récréatifs privés et marchandisés (Sullu, 2018). Pourtant, la ville est considérée comme un terrain d’apprentissage et de jeux (Noschis, 2006) où les enfants expérimentent des sociabilités et « bricolent » leurs spatialités quotidiennes (Abu-Ghazzeh, 2002). Par ailleurs, ces dernières années, de plus en plus de villes, principalement occidentales, travaillent à l’inclusion des enfants par le biais d’aménagements urbains « child friendly » (Cordero-Vinueza et al., 2023). Dans l’objectif d’être au plus proche des réalités enfantines, donner voix aux enfants (Greenfield, 2004) est central et se fait au moyen de méthodes ludiques (Ramadier et Depeau, 2006) ou artistiques (Templeton, 2020). Ces méthodes, presque exclusivement basées sur des compétences d’expression, font l’abstraction de certains groupes d’enfants, comme les enfants d’âge préscolaire. De plus, l’expérience est multidimensionnelle et elle n'est pas toujours facile à verbaliser. En effet, le terme « expérience », communément utilisé dans les recherches urbaines et géographiques sur l’enfance bien que sa définition ne soit pas stable, renvoie avant tout à une relation de réciprocité du corps et de l’environnement (Vuaillat, 2021). L’enfant exerce une influence sur son environnement, de même qu’il peut être troublé par les ambiances qui l’entourent. Les expériences ont donc une dimension sensible qui peut être difficile à verbaliser. Décrire finement les effets perceptibles sur le corps des ambiances est alors envisagé comme une manière de rendre visible les formes sensibles de relation des enfants à l’espace. Cette ambition entraine un fort défi méthodologique : d’une part, il faut rompre avec la tradition des enquêtes basées sur le discours des enfants, confortables d’un point de vue éthique ; et d’autre part, il faut chercher à tâtons une méthode pour saisir la dimension corporelle de l’ambiance. Cette proposition de communication pourra développer la façon dont l’immersion filmique s’est imposée comme manière de capter et de rendre compte des formes sensibles des expériences de jeunes enfants (2-6 ans) sfaxiens (Tunisie) et grenoblois (France).