L’Orchestre Démos Clermont-Ferrand. L’œuvre d’un travail interprofessionnel - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2022

L’Orchestre Démos Clermont-Ferrand. L’œuvre d’un travail interprofessionnel

Résumé

L’orchestre Démos Clermont-Ferrand voit le jour en 2017, à partir d’une construction inter-services d’un type nouveau sur le territoire, associant la Direction de la Culture, l’Orchestre National d’Auvergne (porteur du projet), la Direction du Développement Social Urbain et la Direction de l’Enfance. Cette co-construction s’est traduite, in situ, par l’implication d’un nombre important d’adultes encadrants de profils variés (jusqu’à un adulte pour deux enfants), en particulier du côté de l’équipe sociale. Dans ce contexte, la question qui a émergé entre les partenaires acteurs et chercheurs est relative aux pratiques professionnelles et plus spécifiquement aux modalités de coordination inter-métiers au sein d’un collectif intégrant une diversité d’acteurs (intervenants artistiques, référents sociaux et associatifs, familles, etc.). Une recherche-action fondée sur une enquête ethnographique Cette étude a été menée entre octobre 2019 et juillet 2021, dans le cadre du programme de recherche-action Clermont Innovation. La recherche-action a été menée à la suite d’une enquête évaluative portée par la ville en 2018-19, montrant « un effet positif [de Démos] sur la majorité des enfants » , sans doute en partie lié à ce taux d’encadrement particulièrement élevé à Clermont. L’objectif était d’étudier les modalités de fonctionnement des équipes depuis 2017, les engagements de chacun.e et les pratiques permettant la mise en œuvre dans le temps de cette action collective. L’enquête s’est construite à partir d’une immersion du chercheur sur le terrain et d’une interaction prolongée avec les acteurs. Le chercheur a intégré l’équipe-projet. Trois groupes-ateliers (sur sept) ont été sélectionnés pour mener une observation approfondie. Ces groupes représentaient trois familles d’instruments et ont été choisis en fonction du territoire et de la provenance institutionnelle des intervenants artistiques, dans l’idée d’observer une diversité d’approches. Au total, 23 ateliers en présentiel ont pu être observés, ainsi que 7 effectués à distance. La totalité des tuttis et une grande partie des réunions, temps de travail et de formation ont également été observés. Afin de pouvoir affiner l’étude des pratiques a posteriori, certaines séances de travail en atelier ont été filmées et/ou photographiées. Ces matériaux audio-visuels ont été utilisés pour l’organisation de temps d’échange et de réflexion avec les acteurs, autour de leurs pratiques en situation. En tant que recherche-action, le travail mené visait aussi à contribuer au projet en accompagnant les acteurs dans la construction de leurs modalités de coopération et de collaboration. Parallèlement à l’observation, 33 entretiens individuels semi-directifs ont été menés, avec les membres des Directions impliquées (6), puis avec l’équipe projet (7) et avec les acteurs de terrain (21 : 11 côté équipe sociale, 10 côté équipe artistique). Enjeux scientifiques Comme beaucoup d’interactions sociales, les équipes encadrantes de Démos sont marquées par de nombreuses asymétries : elles sont relatives aux statuts professionnels, aux expertises relatives, aux positions sociales occupées (Rix-Lièvre, Thomazet, 2017). Ces asymétries sont d’autant plus marquées dans des collectifs inter-métiers où chacun a des prérogatives et souvent des conceptions différentes du projet commun. Partant de là, un objectif majeur de cette recherche a été d’étudier les modalités de fonctionnement des équipes depuis 2017, les engagements de chacun.e et les pratiques permettant la mise en œuvre dans le temps de cette action collective. Pour ce faire, le travail de recherche a consisté à comprendre les répartitions de tâches (modalités de coopération) mais surtout la manière dont les acteurs ont pu construire des convergences dans leur façon de concevoir l’objectif et le déroulement du projet. Ce travail a été réalisé en étudiant les modalités de co-construction du déroulement du projet en partant de l’activité effective de chacun des participants. Le projet a également éclairé la dynamique des asymétries ressenties par les acteurs. La finalité était ainsi de faire émerger des points d’appui et de vigilance dans la mise en œuvre du cursus Passerelle au Conservatoire, d’une éventuelle prochaine cohorte Démos ou de tout autre projet social et culturel conduit conjointement par différents services de la ville de Clermont et de la Métropole Clermont Auvergne. Spécificité du projet clermontois : une construction transversale complexe Dans le vaste réseau partenarial que constitue chaque orchestre Démos, on distingue plusieurs échelles de coordination : le niveau institutionnel (macro), le niveau des ateliers dans les quartiers (micro) et le niveau des tuttis (méso) ; les trois étant liés. Le réseau partenarial de Démos Clermont au niveau institutionnel est caractérisé par un maillage particulièrement complexe dans la collaboration inter-services. La construction administrative de Démos s’est faite dans un contexte de restructuration de la gouvernance des services sociaux de la ville alors en phase de métropolisation. Ainsi, le dossier Démos est d’abord confié à la Direction de la Culture (DC) qui donne tout d’abord un avis défavorable dans l’optique de se donner du temps pour adapter de manière durable ce type de dispositif au territoire. Le projet est ensuite examiné et approuvé par la toute nouvelle Direction du Développement Social Urbain (DDSU), créée en 2015, qui prendra en charge le volet social du projet, conjointement avec la Direction de l’Enfance (DE) pour le volet associatif. Tandis que l’Orchestre National d’Auvergne (ONA) prend en charge le portage financier et la gestion des ressources humaines côté champ artistique, en lien avec la DC. Cette construction transversale aboutit à la création d’une équipe projet composée d’une coordinatrice projet (ONA), de la personne Chargée du secteur musical et des politiques transversales (DC), d’un chargé de mission à la DDSU qui assure la coordination du volet social, d’un chargé de mission pour le Programme de Réussite Educative (DE) qui devient coordinateur du champ associatif Démos, de deux médiateurs culturels, puis du référent pédagogique à partir de 2018. En outre, un Comité de Pilotage se réunit deux fois par an en présence des élus, des Directeurs et responsables de services et des chargés de mission formant l’équipe projet. Il correspond à l’instance décisionnelle à l’échelle locale. Enfin, un comité technique est constitué à partir de 2018-19. A l’échelle de l’atelier (micro), et a fortiori du tutti (méso), cette construction transversale se traduit par la présence d’un grand nombre d’adultes encadrants. Pour chaque groupe-atelier, outre l’équipe artistique habituelle, elle se compose d’un Agent de Développement Social (ADS) accompagné d’un ou deux volontaire.s en service civique et d’un ou deux membre.s de l’association partenaire du quartier. Résultats Une visibilité qui se construit chemin faisant L’un des premiers produits de cette recherche a consisté en l’élaboration d’une cartographie représentant les différentes échelles de coordination inter-métiers (micro, méso, macro). Trois types de schémas ont été réalisés dans le but de mieux comprendre les différents périmètres partenariaux pour les acteurs à différents temps du projet : temps institutionnels, administration et logistique, ateliers bi-hebdomadaires, tuttis et rassemblements. Ils ont permis notamment de mettre en avant le positionnement complexe pour les acteurs au sein de ces échelles. Les entretiens d’une part, associés à cette cartographie, mise à disposition des acteurs à mesure qu’elle était réalisée, ont fait émerger quatre points de vigilance en particulier. 1/ Il apparaît tout d’abord une méconnaissance du périmètre de collaboration par les acteurs qui n’ont pas été associés à la co-construction du système, ainsi qu’un manque de lisibilité dans la gouvernance. Comme le montre la figure 1, il existe une volonté d’horizontalisation des prises de décision inter-services concrétisée au niveau de l’équipe projet. Mais elle est contrebalancée par l’exercice d’une verticalité au niveau de la circulation des informations, des consignes et des questions entre acteurs de terrain et membres de l’équipe projet représentants de telle ou telle Direction. Autrement dit, la volonté de changement dans les modalités de coordination inter-services, qui émane du niveau macro, bouscule beaucoup les habitudes de travail et les pratiques quotidiennes aux niveaux micro et méso, ce qui génère une forme de désorientation et de ce fait rend le changement difficile. 2/ La souplesse laissée par la Philharmonie à la construction du partenariat inter-métiers peut être vécue soit comme un atout, soit comme un manque de cadre. Il existe pour certains acteurs le sentiment de ne pas savoir ce sur quoi ils ont des marges de manœuvre ou non vis-à-vis de la Philharmonie. 3/ Certaines difficultés d’appréciation (coût, charge de travail...) en amont ou au démarrage du projet ont pesé sur l’organisation générale. A différents niveaux (participants, acteurs de terrain, Directions...), il a été constaté une mise en visibilité chemin faisant de ce que représente l’engagement dans Démos. 4/ Il a été constaté un manque de connaissance réciproque des métiers des intervenants à la fois dans ce qu’ils font en commun, mais aussi en ce qui concerne leurs conditions d’exercice d’une manière plus large, qui peuvent peser sur leur engagement dans Démos. Ces différents points montrent un manque de projection pour les acteurs, en lien avec une visibilité institutionnelle qui n’est pas immédiate et se construit chemin faisant. Nombreuses modalités de coordination Le périmètre de collaboration à l’échelle micro (l’atelier dans le quartier, fig. 2) est de loin le plus familier des acteurs qui, dans la majorité des cas, n’ont pas manifesté le même sentiment d’indétermination quant aux prises de décision. A cette échelle, on constate une diversité de pratiques dues à la souplesse au niveau du prescrit concernant les modalités de coordination inter-métiers. Cette souplesse laissée à la construction du partenariat génère des appropriations diverses qui se traduisent en une multitude de modalités de coordination le plus souvent mises en œuvre de manière implicite au moment de l’action, et de ce fait, largement invisibles aux yeux des partenaires venant d’horizons professionnels variés. Quatre temps d’échange et de réflexion avec les acteurs, autour de leurs pratiques effectives, ont ainsi été organisés dans le but de permettre à chacun de mieux connaître comment les autres agissent dans telle et telle circonstance, de prendre conscience que d’autres travaillent et coopèrent de la même manière que soi, ou différemment, de mettre à plat et discuter ces manières de faire a posteriori, sans se référer à aucune norme ou façon de faire spécifique. Les exemples qui ont été abordés durant ces temps d’échange et les discussions qui en ont émergé ont montré la part d’implicite à l’œuvre dans les modalités de coordination inter-métiers, et les tensions, malentendus ou sentiment d’asymétrie professionnelle que cela pouvait générer. Cette dimension ‘’active’’ de la recherche-action a pu montrer l’importance de prévoir des temps spécifiques pour faire émerger cet implicite dans le but de mieux intégrer le point de vue de l’autre dans les pratiques de chacun. Un socle de valeurs communes diversement investies La recherche a permis d’identifier diverses appropriations subjectives du dispositif Démos au-delà desquelles ont émergé des points de convergence thématique relatifs aux objectifs et aux fondements du dispositif. Ces valeurs communes ont été appelées points nodaux inter-métiers en ce qu’ils constituent des points de rencontre de plusieurs cheminements ou visions du dispositif. Nous en avons dénombré sept principaux. Selon leurs métiers, selon leurs parcours, la façon dont les acteurs conçoivent plus particulièrement ces points nodaux varie. Et selon le niveau où l’acteur intervient (atelier, tutti, temps conviviaux, équipe projet...) il opérationnalise ces valeurs communes de manière différente. Les attentes exprimées par les acteurs au sujet de ces points nodaux ont été étudiées de manière à faire émerger les convergences et les divergences, entre équipe sociale et équipe artistique, et au sein d’un même champ professionnel. Les convergences entre champs social et artistique autour des sept points nodaux sont nombreuses, et chacun à son niveau d’intervention se met au service de ces différents points. Mais ces valeurs dites communes s’opérationnalisent de manières variées selon les acteurs, leur périmètre d’action et les temps du projet. Un certain nombre de points de tension inter et intra-métiers sont apparus. Elles sont liées par exemple : (1) à la cohabitation entre des visions très différentes de l’apprentissage musical au sein d’une même profession ; (2) à la manière de percevoir et de concilier les dimensions sociale et artistique du projet ; ou encore (3) dans les arbitrages qui se font au moment des tuttis. Ainsi ce ne sont pas nécessairement les mêmes valeurs qui priment pour chaque acteur à tel et tel moment. Ce qui apparait comme un accord tacite (induit par les orientations générales de Démos) des différents acteurs autour de ces valeurs semble mis à l’épreuve relativement à ce qui est premier pour chacun en pratique et en situation. Une identification anticipée et collective des valeurs prévalentes pour les différents acteurs au cours des différents temps du projet pourrait consolider l’organisation et limiter certains ressentis négatifs des acteurs. Ces tensions sont constitutives de la dynamique du projet et, si elles sont prises en considération et nommées, alors elles peuvent être mises en discussion entre partenaires-acteurs et devenir des points d’évolution. Poursuite et impacts de la recherche-action au cœur du cursus Passerelle La dernière étape de la recherche-action s’est déroulée de février à juillet 2021, durant la mise en route du cursus Passerelle accueillant une quarantaine d’enfants Démos au sein du Conservatoire Emmanuel Chabrier. Au-delà du recueil de données, rendu plus difficile par les conditions aléatoires liées au contexte sanitaire, cette nouvelle phase s’est davantage déroulée dans l’interaction directe avec les acteurs. Deux constats principaux, et liés entre eux, ont été faits : 1/ l’arrivée de nouveaux acteurs dans le dispositif a souligné le besoin de clarifier leur environnement de travail sur le plan humain et institutionnel dès le démarrage du projet ; le recours à la cartographie des partenariats a pu en partie répondre à cette demande ; 2/ une partie des acteurs s’est saisie de la recherche-action comme d’un élément facilitateur soit dans leur prise de fonction, soit pour réinterroger leur positionnement dans Démos et/ou se projeter dans la Passerelle. En d’autres termes, ces personnes se sont emparées de la recherche dans sa dimension active. Conclusion : créer des temps de négociation inter-métiers Un projet comme Démos repose sur des compétences variées et engage un grand nombre de professionnels venant de divers horizons. En outre, c’est un dispositif récent dont la dynamique et le fonctionnement s’éclairent en temps réel. Pour autant, ces caractéristiques ne font pas de Démos un cas particulier en termes de pratiques inter-métiers. Il existe de nombreuses manières d’opérationnaliser des valeurs communes et de travailler ensemble autour d’objectifs dont, souvent, la convergence se construit en chemin. C’est le cas dans tous les collectifs intégrant une diversité d’acteurs. Au-delà du repérage des modalités de coordination inter-métiers, c’est leur explicitation qui a été au cœur de cette recherche. Mieux connaître le métier des autres, leur formation, leurs attentes, leur ressenti au moment où ils agissent offre une souplesse de fonctionnement supplémentaire à chacun. Dans le même ordre d’idées, discuter régulièrement les objectifs du projet et la manière dont chacun les conçoit et les investit en pratique dans les différents temps du projet permet d’élucider ou d’apaiser les tensions inter et intra-personnelles quasiment inévitables dans un collectif hétérogène, d’autant plus lorsqu’on ne connaît pas les pratiques de métier ni le ressenti des partenaires au moment où ils agissent (Sève et al. 2009). La présence d’un tiers modérateur pour mettre en mouvement ces discussions et orienter les échanges vers des conclusions opérationnelles est un atout dans ce processus. Bibliographie Clot Y. (2014). Réhabiliter la dispute professionnelle. Economie et sens 2014/1 N°105, p. 9-16 Mérini C. (1999). Le partenariat en formation. De la modélisation à une application (2006, 2ème ed.). Paris: l’Harmattan. Rix-Lièvre G., S. Thomazet (Eds) (2017). Interactions et dynamiques des asymétries. Numéro spécial de la revue Transverse, n°9, collection Soin/santé. Clermont-Ferrand: Université Clermont Auvergne Sève C., Bourbousson J., Poizat G., Saury J. (2009). Cognition et performance collective en sport. Intellectica 2009/2, pp. 71-95
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-04278273 , version 1 (09-11-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04278273 , version 1

Citer

Lorraine Roubertie Soliman, Géraldine Rix-Lièvre, G. Wierre-Gore. L’Orchestre Démos Clermont-Ferrand. L’œuvre d’un travail interprofessionnel : Que pouvons-nous apprendre des modalités de coordination entre les acteurs ?. Journée d’étude : Les pratiques musicales collectives à vocation sociale à l’épreuve du partenariat inter-métiers, May 2022, Clermont Ferrand, France. ⟨hal-04278273⟩

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