Introduction : La conscience d’un soi corporel se définit classiquement dans la littérature par les deux sentiments qui la composent : le sentiment d’appropriation (i.e., capacité à percevoir que le corps dans lequel nous vivons est le nôtre et nous appartient) et le sentiment d’agentivité (i.e., capacité à nous percevoir comme l’auteur de nos mouvements et responsables de leurs conséquences) (de Vignemont, 2006). La nature du lien existant entre ces deux sentiments est encore débattue aujourd’hui. Certains soutiennent qu’il existe une double dissociation entre ceux-ci et qu’ils sont deux entités séparées (Kalckert & Ehrsson, 2014). D’autres soutiennent que ces deux sentiments sont intimement liés et que la création du sentiment d’appropriation serait conditionnée et dépendante de la création du sentiment d’agentivité (Burin et al., 2017, 2018; Ma & Hommel, 2015). A travers l’utilisation d’un exosquelette (i.e., appareil bionique reproduisant un schéma de marche), cette étude visait à tester les conditions d’émergence de ces deux sentiments ainsi qu’à étudier la nature du lien qui les relie. Notamment, cette étude visait à démontrer l’hypothèse selon laquelle la naissance primaire d’un sentiment d’agentivité, ici vis-à-vis des jambes de l’exosquelette, est nécessaire et conditionne la création secondaire d’un sentiment d’appropriation vis-à-vis de celles-ci. Méthode : L’exosquelette Atalante a été utilisé lors de cette étude. La particularité de cet exosquelette est qu’il offre une assistance à la marche graduée et variable. Plus l’assistance est diminuée (<100%), plus le participant participe activement à la marche. Au contraire, à 100% d’assistance, la marche est réalisée entièrement par l’exosquelette et le participant est passif. Les participants (23 étudiants, 16 femmes et 7 hommes) commençaient tous l’expérimentation par réaliser un entrainement (i.e., deux longueurs) à 100% d’assistance. Il passait ensuite à la phase test qui correspondait à la réalisation de six longueurs selon trois conditions : à 100%, 60% ou 20% d’assistance. A la fin des phases d’entrainement et test, les participants répondaient à un questionnaire visant à évaluer leurs ressentis, en termes de sentiments d’agentivité et d’appropriation, vis-à-vis des jambes de l’exosquelette. Résultats et discussion : Les résultats ont révélé l’absence de création des sentiments d’agentivité et d’appropriation vis-à-vis des jambes de l’exosquelette lors de l’entrainement à 100% d’assistance. Lors de la phase test, la création des sentiments d’agentivité et d’appropriation a été observée uniquement lorsque les participants participaient activement à la marche (i.e., 60% et 20% d’assistance) et ce d’autant plus lorsque l’assistance de l’exosquelette était la plus basse (i.e., 20%). Conclusion et perspectives : Ces résultats confirment l’hypothèse selon laquelle la création du sentiment d’appropriation est tributaire de celle du sentiment d’agentivité. Sans participation active et sans avoir l’impression de contrôler les jambes de l’exosquelette, les participants n’ont jamais eu l’impression que les jambes de l’exosquelette auraient pu être les leurs. Ces résultats sont particulièrement intéressants dans le cadre de la prise en charge de patients avec déficits moteurs. Il est nécessaire de concevoir des outils leur permettant de participer activement à leur prise en charge dans le but de préserver leur sentiment d’agentivité afin qu’ils continuent à percevoir leurs membres atteints comme des parties intégrantes d’eux-mêmes. Mots-clés : Conscience d’un soi corporel, agentivité, appropriation, exosquelette Références : Burin, D., Pyasik, M., Ronga, I., Cavallo, M., Salatino, A., & Pia, L. (2018). “As long as that is my hand, that willed action is mine”: Timing of agency triggered by body ownership. Consciousness and Cognition, 58, 186–192. https://doi.org/10.1016/j.concog.2017.12.005 Burin, D., Pyasik, M., Salatino, A., & Pia, L. (2017). That’s my hand! Therefore, that’s my willed action: How body ownership acts upon conscious awareness of willed actions. Cognition, 166, 164–173. https://doi.org/10.1016/j.cognition.2017.05.035 De Vignemont, F. (2006). A review of Shaun Gallagher: How the body shapes the mind. Psyche, 12(1), 1-7. Kalckert, A., & Ehrsson, H. H. (2014). The moving rubber hand illusion revisited: Comparing movements and visuotactile stimulation to induce illusory ownership. Consciousness and Cognition, 26, 117–132. https://doi.org/10.1016/j.concog.2014.02.003 Ma, K., & Hommel, B. (2015). The role of agency for perceived ownership in the virtual hand illusion. Consciousness and Cognition, 36, 277–288. https://doi.org/10.1016/j.concog.2015.07.008