Dans les politiques d’entreprise, la thématique de la parentalité et de la « conciliation » vie professionnelle-vie privée a pris de l’ampleur depuis les années 2000 dans le secteur privé, notamment sous l’impulsion de l’Union européenne et de l’Etat français. L’appel à l’initiative des entreprises a combiné différents types d’incitations par le biais de la fiscalité, du partage de bonnes pratiques et du dialogue social. Les pouvoirs publics ont accompagné la création de labels, chartes et observatoires, avec le soutien de consultant·es et de grandes entreprises. Comment cet intérêt progressif pour les questions de parentalité se traduit-il dans les pratiques de négociation collective en entreprise ? Cette enquête par entretiens réalisée en France pendant la crise du COVID-19, entre novembre 2020 et avril 2021, auprès de 18 grandes entreprises souligne le caractère très contrasté de la négociation collective en matière de parentalité. Ce sujet qui reste globalement secondaire dans l’agenda des partenaires sociaux, notamment du fait de l’existence de droits familiaux plutôt généreux par comparaison avec d’autres pays. Dans la continuité d’autres travaux, cette étude montre que plusieurs facteurs structurels et organisationnels jouent un rôle dans la variation du contenu et le cadrage des accords négociés. La situation économique de l’entreprise, que la crise de la COVID-19 a pu dégrader, et la configuration productive ont clairement une influence sur la dynamique de la négociation ; des effets de stagnation voire de régression sont observés, et ce même dans des grandes entreprises pourtant bien dotées. Bien que souvent présenté comme favorable à la négociation sur la « conciliation » entre la vie privée et la vie professionnelle, le fort taux de féminisation de l’entreprise peut au contraire jouer en défaveur de mesures plus favorables en faveur des mères par crainte des coûts induits et encourager quelques mesures symboliques pour les (rares) hommes. Inversement, dans les secteurs masculins, l’extension des droits des pères peut se heurter à des contraintes financières. Trois dynamiques de négociation en matière de parentalité ont été identifiées : managériale, défensive et minimaliste, qui s'inscrivent dans des configurations socio-productives contrastées. Si l’approche de la parentalité et plus largement de la vie privée semble s’élargir dans certaines entreprises multinationales, elle reste restrictive dans bien d’autres, révélant le caractère encore très « maternaliste », hétérosexuel, voire hétérosexiste du cadrage du « travail reproductif » en France, coté directions comme syndicats, des mesures souvent individualistes (que combattent certains syndicats) et des inégalités d’accès aux mesures de conciliation en fonction des types d’emploi. Surtout, le versant « travail productif » de l’articulation semble être le parent pauvre de cette équation, avec de nombreux impensés tant du côté de la dégradation des conditions de travail des salarié·es, y compris chez les cadres, que des contraintes d’organisation du travail plus ou moins favorables à l’exercice des droits négociés. La réalisation de monographies d’entreprises dans des secteurs d’activité variés, pendant la crise COVID, permet enfin de montrer qu’il existe des « régimes de télétravail » très inégaux, que ce soit dans les modalités d’exercice, les compensations et l’équipement fournis par l’employeur, et enfin les critères d’éligibilité. De manière étonnante, pour l’instant, les négociations égalité professionnelle et télétravail restent déconnectées, sans réflexion croisée sur les opportunités et les risques pour les femmes d’une organisation du travail hybride. Des pans entiers d’activités sont considérés comme non-télétravaillables pour des raisons techniques et de normes organisationnelles liées à des « nécessités de service » ou de faible pouvoir de négociation avec l’employeur, alors que ce sont pour beaucoup des « métiers de femmes » : employées, professions intermédiaires administratives et commerciales. Comme le préconise le Haut Conseil à l’Egalité, il serait pertinent de croiser les deux objets de négociation, et ce dans tous les secteurs et pour toutes les catégories de personnel, afin que le télétravail ne devienne pas un « privilège » facilitant en partie l'articulation vie professionnelle / vie familiale, réservé à certaines et surtout à certains cadres.