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Article Dans Une Revue Les Cahiers de Framespa : e-Storia Année : 2023

Des frontières créatrices d’identités montagnardes éclatées. L’exemple des anciens États de Piémont-Savoie

Alexandre Ruelle

Résumé

À l’époque moderne, les États de la maison de Savoie ont su tirer profit de leur position d’entre Suisse, France et Empire, notamment d’un point de vue économique du fait de leur statut de « portier des Alpes ». En parallèle, cette situation de carrefour les expose aux guerres incessantes entre Valois puis Bourbons et Habsbourg qui les perçoivent comme une terre de passage, une marche militaire que leurs armées foulent pour intervenir au cœur des Alpes occidentales. Être un « État-frontière » entre les deux puissances hégémoniques du continent serait donc à double tranchant : la maison de Savoie a pu repousser ses frontières en direction de la plaine du Pô mais elle a aussi dû renoncer à terme au versant français. De même, cette instabilité géopolitique a lourdement impacté le quotidien des populations alpines réparties dans diverses entités autonomes – Savoie, Piémont, Nice et Val d'Aoste – fédérée par la dynastie. Aux mouvements des frontières interétatiques s’ajoutent les dynamiques des délimitations internes à ce que l’on pourrait appeler un « État de frontières ». Celles-ci distinguent diverses administrations, juridictions ou encore particularités linguistiques et culturelles. Cette double dimension des frontières fait du Piémont-Savoie un formidable laboratoire politique pour comprendre les divers effets de frontières au cœur des Alpes occidentales. Par un jeu d’échelles et de temporalités, j’entends ici mettre en exergue les principaux effets de frontière résultant des interactions entre pouvoirs centraux et locaux au long de l’époque moderne. La guerre s’impose comme le principal de ces effets. Il sera question de réfléchir à l’échelle de la Savoie et de Nice – tous deux situés sur le versant français – aux impacts que les occupations françaises, particulièrement lourdes sous Louis XIV et sous la Révolution, ont pu avoir sur les populations. Vivre à la frontière – celle-ci disparaît d’ailleurs temporairement le temps de ces occupations – est pesant en raison de la fiscalité, des réquisitions et de diverses mobilisations. Cette situation fait naître un sentiment d’abandon vis-à-vis d’un souverain qui ne se soucie plus de les défendre. De fil en aiguille, Savoyards et Niçois s’habituent à vivre avec l’occupant ; le Français gagne en influence, ne serait-ce parce qu’il favorise les échanges économiques florissants. Le déplacement de la frontière du Rhône vers les Alpes laisse envisager un nouvel avenir pour les populations. Ensuite, la frontière a été parfois négociée entre les différentes strates des sociétés. Tel a été le cas entre 1713 et 1718 : les modifications territoriales décidées à Utrecht, notamment la division de la communauté du Montgenèvre, font débat entre Dauphinois et Piémontais, les premiers défendant les droits historiques et l’intégrité de la communauté quand les seconds justifient les récentes acquisitions au nom des traces de la Nature. Or, depuis 1348, les populations installées de part et d’autre du col ont pris l’habitude de vivre ensemble, entre autres en raison d’activités économiques communes. Dans ce contexte, elles participent aux enquêtes de terrain pour défendre leurs intérêts face aux intérêts des princes, bien que ceux aient finalement gain de cause. La frontière ne devient pas totalement hermétique, les circulations transfrontalières persistant dans une moindre mesure. Enfin, les frontières forgent aussi l’identité des Alpins. D’anciennes limites politiques jadis disparues ont pu être regrettées. Leurs « fantômes » persistent dans les esprits comme l'expression de revendications autonomistes à l’instar des habitants du Val d’Aoste, vallée francophone située sur le versant italien, qui s’efforcent de se distinguer des Piémontais. Dès le milieu XVIIe siècle, les Valdotains théorisent l’idée d’un « duché intramontain » – enserré entre les monts et séparé du reste des États de Savoie – en réinventant le rôle de limite de leurs montagnes. Cette frontière linguistique et identitaire d’avec le reste de l’Italie subsiste de nos jours puisque la vallée reste une « région autonome ». Ainsi, les frontières ont joué un rôle dans la construction et l’expression d’identités montagnardes fortes et éclatées au carrefour de diverses aires linguistiques, culturelles et politiques. Les Alpins ont dû s’adapter aux incessants changements territoriaux conditionnés par leur situation frontalière.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-04252646 , version 1 (20-10-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04252646 , version 1

Citer

Alexandre Ruelle. Des frontières créatrices d’identités montagnardes éclatées. L’exemple des anciens États de Piémont-Savoie. Les Cahiers de Framespa : e-Storia, A paraître, 46. ⟨hal-04252646⟩
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