Le FabLab est un espace de création, de travail et de formation qui fait partie de la catégorie des « tiers lieux » (Oldenburg (2001)), souvent « maker space » (avec une identité basée sur le faire et le bricolage) et « hacker space » (avec une identité basée sur le militantisme numérique). Le concept de FabLab a été créé par Neil Gershenfeld, professeur au MIT, à la fin des années 1990. Lieu ouvert où des outils, notamment à commande numérique, ainsi que des plateformes en réseau pour l’échange de fichiers, sont mis à la disposition du public, le FabLab permet à ceux qui l’utilisent de créer, prototyper et produire des objets, dans une démarche de design. Il accueille ainsi des communautés de pratique rassemblées autour du processus de fabrication des objets, dans ses aspects technique et matériels, mais aussi d’une approche co-créative dans laquelle l’entraide entre pairs, le partage des utilités en réseau, le processus itératif de prototypage sont de mise. Ainsi, tout au moins dans la version initiale du FabLab, et dans beaucoup de ses déclinaisons contemporaines (mais pas toutes, les FabLabs d’entreprises, par exemple, étant devenus de simples ateliers de conception, comme certains FabLabs universitaires), ce sont les dimensions sociales de la création et de la fabrication, et les systèmes d'entraide entre acteurs qui caractérisent cet espace, et pas seulement le « Do it Yourself » souvent mis en avant. Cela explique que de nombreux FabLabs soient aussi devenus des espaces de création sociale ancrés dans les territoires, favorisant la formation et l’apprentissage, tant autour des compétences techniques qu'autour de la créativité, de l'autonomie, et de la capacité à travailler en collaboration. Le FabLab permet les rencontres entre individus ou groupes avec des objets dans une « épistémologie du bricolage » (Vallat, 2017) à partir de laquelle la construction de connaissance relève d’une expérience commune du tâtonnement (du bricoleur) et non de l’expertise (de l’ingénieur ou homme de l’art). Cependant ce bricolage ne se limite pas à un monde clos déterminé par les seuls « moyens du bord » et l’instrumentalité, comme chez Claude Lévi-Strauss (1960) qui l’oppose à la démarche de projet propre à l’ingénieur. Il correspond bien à une démarche de projet dans laquelle des connaissances mobilisables et modestes sont en circulation. Un FabLab peut être considéré comme « une configuration sociale où la rencontre entre entités individuées engage intentionnellement la conception de représentations communes » (Burret, 2017 : 238). Entrer dans le FabLab, c'est souvent entrer dans un écosystème qui semble centré sur les techniques mais qui est animé, à travers les acteurs qui le font fonctionner dans un espace, par des valeurs singulières et partagées. Celles-ci passent par la maîtrise d’outils et de dispositifs techniques mais aussi par des langages et une production documentaire qui rend les traces d’activités signifiantes et socialement partagées (Leleu-Merviel, 2013). C’est cette production documentaire qui retient notre attention dans un projet de recherche, FabLabMORE. L’espace du FabLab, plutôt que le dispositif technique, fait l’objet de la recherche centrée sur les interactions, les expériences, l'attention, l'engagement mutuel. Les chercheurs tentent de mesurer cette part de l'activité à plusieurs niveaux de l’organisation des connaissances : - De l’activité : la documentation pour capter, rassembler et conserver des éléments de mémoire des activités afin de les remobiliser dans d'autres temps, d'autres contextes et d'autres intentions de formation/accompagnement. Cette documentation autour des projets relève souvent de la narration sans principe d’organisation des connaissances ; - Du système : la redocumentarisation des traces écrites et communicationnelles des activités dans un système d’information et une organisation. Car dans le FabLab, outre les objectifs, les outils, le réseau social, c'est la création d'un système d'information permettant de faire circuler la documentation technique qui conforte la communauté de pratique étendue et documentée (Lehmans, 2018). La redocumentarisation relève de formes de médiatisation des savoirs ; - De l’écosystème : la circulation et l’organisation de ces documents dans un écosystème social de petite à grande échelle, suivant des principes qui semblent peu contraignants. Plus que l’innovation technologique experte, ce sont les logiques d'ouverture sociale et culturelle des espaces participatifs de diffusion et de circulation des savoirs qui sont en jeu, dans une dynamique de convivialité où l'espace est « conducteur de sens, traducteur d'intentionnalité ». » (Illich & al., 1973, 45), et le « dialogue entre les hommes » peut se mettre en place, car c'est la communication humaine qui compte. Les dimensions cognitives, sociales et interculturelles sont ciblées, dans un réseau local et international de FabLabs, pour comprendre comment les connaissances circulent entre différents espaces et communautés. La communication vise à préciser dans quelle mesure l’épistémologie du bricolage qui semble présider à l’organisation et à la médiation des connaissances dans le FabLab relève d’une logique sociale efficace qui s’appuie sur un espace commun de connaissances. Des méthodes d’enquête qualitatives basées sur les observations des activités, des entretiens semi-directifs menés avec les acteurs (fabmanagers, médiateurs et usagers des FabLabs) et l’analyse des systèmes d’information, permettent de repérer et qualifier les mécanismes en jeu à travers les pratiques de production, de mobilisation et de mise en circulation de savoirs négociés.