La fabrique des recruteurs de la grande distribution sportive : une explication à la persistance des discriminations à l’embauche selon l’apparence physique
Résumé
L’apparence physique est une dimension pouvant compter pour l’accès au marché du travail (Amadieu, 2002 ; Hidri, 2011) alors que le cadre législatif anti-discriminatoire français l’interdit . Certains secteurs d’activités y sont particulièrement sensibles, la grande distribution d’articles sportifs notamment. Les candidats recherchés sont censés faire la preuve de compétences sportives au travers d’une « culture sportive » (Pichot et Pierre, 2010), d’une passion pour le sport voire d’une pratique régulière, ces critères apparaissant comme des « condition[s] sine qua non d’embauche » (Hidri et Bohuon, 2008). Les travaux menés montrent qu’il s’agit surtout pour les candidat-e-s à l’embauche de « paraître sportif » : le corps devenant à la fois un gage de crédibilité auprès de différents acteurs (les collègues, les clients, etc.) et un moyen d’assurer les « fonctions de (re)présentation » souhaitées par les enseignes concernées (Hidri Neys et Bohuon, 2011 ; Hidri Neys, 2014).
Notre première étude (Duflos, 2015) a tenté de lever l’énigme de la persistance de ces discriminations au regard de la loi anti-discriminatoire de 2001. En utilisant les apports de la théorie de la neutralisation et en nous appuyant sur des entretiens semi-directifs menés auprès de recruteurs de l’enseigne Décathlon, nous avons montré que ces derniers développent des techniques, lorsqu’ils sont confrontés à une prise de conscience de leurs actes, leur permettant de justifier leurs pratiques discriminatoires, de les reproduire, et d’atténuer les effets des critiques à leur égard. Nous avons ainsi déplacé la focale, durant le travail doctoral, de la fabrique des discriminations à la fabrique des recruteurs : en étudiant leur socialisation professionnelle (par l’analyse des contenus des formations universitaires, des formations internes dispensées dans les entreprises et de la littérature managériale générale et/ou spécialisée), nous tenterons de comprendre la fabrication de cette figure et donc, des représentations et pratiques discriminatoires.