Le cycle de fantasy à destination de la jeunesse His Dark Materials (Philip Pullman, 1995-2000) a rencontré un immense succès à la fin des années 1990 et a fait l’objet d’adaptations, d’extensions transfictionnelles et déclinaisons transmedia. La dernière en date est la série HBO His Dark Materials. Au sein de la trilogie de Pullman, la construction de l’identité de l’héroïne est notamment le résultat d’un cheminement éthique lié à une désillusion relative aux figures parentales. Lyra, douze ans, découvre que non seulement elle n’est pas orpheline mais également que ses parents sont Lord Asriel et Mrs Coulter. Ceux-ci, objets de son admiration et de sa fascination dans un premier temps, se révèlent impitoyables, cruels, et meurtriers, loin du couple parental fantasmé. C’est une disposition inhérente à la littérature de jeunesse que de se positionner en faveur de l’enfant. Les valeurs mises en avant ne sont pas nécessairement les mêmes que celles du monde des adultes, souvent dépeint comme stupide ou absurde, et pères et mères n’échappent pas à la critique. La dégradation de l’aura parentale est ainsi un topos largement mobilisé en fantasy pour la jeunesse. Une fois ces repères effondrés, c’est un nouvel itinéraire éthique qui commence pour le jeune personnage, qui doit apprendre à discerner le bien du mal et à se forger son propre système de valeurs pour devenir adulte. Mais qui dit changement de média dit modification des modalités de réception : les spectateurs de la série HBO et les lecteurs de la saga sont deux publics au moins partiellement distincts, avec leurs propres attentes et spécificités. Dans cette perspective, qu’advient-t-il de ce schéma de construction du personnage si solidement ancré dans la configuration intrinsèque de la littérature de jeunesse ? Comment le message persiste mais aussi se transforme en s’adaptant à son nouveau public et son nouveau média ? Nous verrons que la « médiagénie » (Gaudreault, 1998) de la série télévisée est mise au service d’un récit d’initiation éthique qui n’est plus seulement concentré autour du personnage-enfant mais déploie une fresque transgénérationnelle plus vaste, multipliant les pôles narratifs et « densifiant » (Esquenazi, 2013) la charge axiologique jusqu’à la brouiller.