Pour les transports, l’entre-deux guerres est une période d'accélération technologique, économique et sociale sans précédent. D’abord, elle est caractérisée par l’émergence des macro-systèmes techniques qui interfèrent les énergies (pétrole, électricité…), les véhicules (avion, automobile…) alors même que les trafics automobile et aérien sont encore peu massifiés voire balbutiants pour ces derniers. L’aviation passe de « l’invention sans besoin » (Emmanuel Chadeau) au stade du développement commercial, avec une trajectoire qui ouvre le champ des possibles en même temps qu’elle stabilise un nouveau système de mobilité, appuyé sur les entreprises (compagnies aériennes), les industries (constructeurs aéronautiques), les infrastructures (aéroports). Ce chapitre considère le terme de puissance dans son articulation entre technique et politique. Il renvoie à la captation des mobilités pour servir la « propagande » des nations, valorisant leur puissance dans les salons et les expositions, la presse et les inaugurations. Les aéroports constitueront des vitrines de cette représentation dans des contextes politiques très différents, à la veille de la seconde guerre mondiale. Le terme de puissance renvoie aussi à l’émancipation, celle des possibilités mobiles associées à la quête de nouveaux droits politiques et sociaux (des femmes notamment), avec des ambivalences sur l’autonomie humaine doublée d’une dépendance à la machine ; celle des limites qui sont repoussées, notamment les limites territoriales. La puissance va aussi avec la vitesse qui est multipliée et se matérialise dans des records toujours nouveaux qui se combinent aux possibilités technologiques. Elle relègue la modernité antérieure et favorise le prototype. Elle devient un instrument de la conquête spatiale et territoriale du territoire, notamment à l’échelle des empires et des nations (« réunis » par les airs). Cette accélération des vitesses ne se fait pas de manière uniforme. Elle marque de nouvelles différenciations sociales, les relations de pouvoir et les hiérarchies sociales se manifestant dans la pratique des déplacements avec une individualisation des vitesses et une distinction des pratiques. La puissance des vitesses, c’est aussi la confrontation de l’accélération et de l’attente, de la technologie et de la panne, de la puissance et de l’accident, le renforcement des lieux polarisés et des entre-deux. Ces différentes perspectives de la question de la « puissance » permettent de comprendre ce que devient l’aviation au temps des « années folles » et en quoi ses développements dans un contexte où le mode de transport est encore élitiste et peu utilisé reflètent et contribuent à des phénomènes et des dépendances qui ont façonné et façonnent encore les réalités contemporaines.