Résumé Le parkour participe de l’existence de la ville récréative. Pour le démontrer, mon objectif a été de mettre en lumière des tendances dans les actions et représentations de ses pratiquants vis-à-vis de la ville comme espace matériel, social et politique. Ma méthode, entremêlant qualitatif et quantitatif à différentes phases de la recherche, est ainsi devenue une méthode mixte embarquée (Creswell et Plano Clark, 2011). Je souhaite ici l’expliciter et la discuter tout en l’illustrant à travers mes résultats de recherche. Cette combinaison de méthodes qualitatives et quantitatives dans différentes parties de l’analyse relève de la logique de complétude (Bryman, 2006). D’une part, elle s’inscrit dans mon approche inductive, empreinte d’une forme de pragmatisme (Tedlie et Tashakkori, 2009) entre sérendipité stratégique et abductive, mêlant la stimulation de l’émergence et l’exploitation exhaustive des données. D’autre part, elle constitue une alternative au clivage qualitatif/quantitatif par un emboîtement des méthodes, la quantification étant inévitable dans une approche qualitative (occurrences, gradations, etc.). J’ai enquêté par l’observation participante de 43 sessions de parkour dans le bassin franco-belge, puis transformé ce matériau qualitatif en une base de données par identification de « variables » présentant plusieurs modalités de manifestation parmi les sessions et, enfin, soumis ce jeu de données à l’analyse factorielle multiple (AFM). Ce traitement correspond à l’intégration de la mixité lors des étapes d’analyse expérimentale et d’inférence (Tedlie et Tashakkori, 2009). Trois axes (F1, F2 et F3) et deux plans factoriels (F1-F6 et F2-F3) ressortent, caractérisés par la forte corrélation de treize axes partiels. J’ai dégagé de ces derniers des micro-tendances quant au rapport de l’individu à l’espace, aux interactions pratiquants/non-pratiquants et à la créativité dans et par la pratique. La lecture globale des résultats de l’AFM s’articule en trois thématiques. Premièrement, l’intensité des caractères récréatif et public des espaces de pratique influencent leurs formes de co-usage entre le parkour et les autres usages. Deuxièmement, la présence et la nature des interactions avec autrui ainsi que la logique d’obtention ou d’imposition d’une place du parkour permet de distinguer différentes formes d’appropriation de l’espace. Troisièmement, j’identifie pour le parkour quatre niveaux de constitution d’une différence en ville : émergence, introduction, affirmation et intégration. Finalement, les apports de l’analyse multidimensionnelle aux méthodes mixtes pour étudier un matériau qualitatif sont de deux ordres. D’une part, l’exposé de sa « boîte noire », son adéquation avec l’analyse statistique de « petits » jeux de données et sa possibilité d’isoler des variables « illustratives » permettent d’assoir la rigueur méthodologique de la démarche. D’autre part, l’AFM dégage des tendances via un processus de généralisation empirique par positionnement plutôt que catégorisation ou idéal-typologisation, dépassant ainsi la démarche typologique et répondant à l’enjeu de la standardisation des méthodes mixtes (Timans et al., 2019). Ainsi, ce cas d’étude enrichie la réflexion quant aux méthodes mixtes embarquées. Mon exemple montre comment un matériau qualitatif peut être transformé et soumis à une analyse quantitative, l’AFM, dont les résultats sont interprétés de manière qualitative, tout en démontrant sa portée heuristique et méthodologique. Références Bryman, A. (2006). Integrating Quantitative and Qualitative Research: How Is it Done? Qualitative Research, 6(1), 97-113. Creswell, J. W. et Plano Clark, V. L. (2011). Designing and Conducting Mixed Methods Research (2nde éd.). Sage. Teddlie, C. et Tashakkori, A. (2009). Foundations of Mixed Methods Research: Integrating Quantitative and Qualitative Approaches in the Social and Behavioral Sciences. Sage. Timans, R., Wouters, P. et Heilbron, J. (2019). Mixed Methods Research: What it Is and What it Could Be. Theory and Society, 48(2), 193-216.