Cette fouille d’une emprise de près de 1 000 m² est localisée sur la rive nord du plan d’eau du Vieux-Port, sur le versant sud de la butte Saint-Laurent, à proximité immédiate du théâtre antique et du forum présumé de Marseille romaine. 1/ Les vestiges grecs du Collège Vieux-Port à Marseille. Description des constructions grecques d’époque archaïque et classique par phase - vers 600-570/560 av. J.-C. Les vestiges immobiliers les plus anciens, sols aménagés de galets ou calades, ont été retrouvés dans la partie occidentale du site, à l’état de lambeaux au contact du paléosol brun. Ces empierrements pourraient correspondre soit à une voie reliant la butte Saint-Laurent au rivage, soit à la bordure d’une place (publique ?), retenue à l’est sur la pente par un gros mur de soutènement bâti en pierre, dont on a retrouvé la trace en coupe. De nombreuses scories de fer, réutilisées dans le substrat de la rue ou de la place, semblent indiquer l’existence d’un artisanat métallurgique proche. - vers 570/560-550 av. J.-C. Postérieurement à 570/560 av. J.-C., la pente du terrain située en contrebas fait l’objet d’un nivellement, avec la création d’une terrasse artificielle horizontale, entraînant en partie haute la disparition des sols les plus anciens, dans le but d’installer un bâti orthonormé orienté nord-est/sud-ouest. À l’intérieur des quelques pièces à vocation domestique, observées en coupe mais non fouillées, les archéologues ont pu repérer des sols et des foyers aménagés le long de murs bâtis en briques de terre crue (« adobes »), posées sur des socles (solins) en calcaire blanc de Saint-Victor. Cette deuxième phase, explorée malheureusement sur une superficie très réduite, a fourni des témoignages clairs d’une activité métallurgique (sols calcinés, fosse-foyère, charbons et scories de fer), notamment dans l’un des espaces exploré au sud-ouest de la fouille, et qui probablement se rattache à cet îlot. - vers 550-450 av. J.-C. Au cours du troisième quart du VIe s. av. J.-C. (vers 540-530 av. J.-C.), un édifice monumental de plan rectangulaire (12,10 m de long sur 8,50 m de large), bâti en gros blocs de grand appareil, est installé volontairement sur le bâti précédent, dont il garde l’orientation nord-ouest/sud-est. Le petit côté de l’édifice, au nord-ouest, comme son pendant au sud-ouest, se prolonge vers le nord-est. Ils peuvent matérialiser l’emplacement d’un espace fonctionnel contigu, tandis que, sur sa façade sud, une rue vient longer le bâtiment. Cette rue piétonne (?) s’installe au travers de l’îlot de la phase précédente. La mise en place de ces constructions s’est accompagnée d’un important travail de rehaussement du niveau général du terrain (terrasse), qui surplombait ainsi l’entrée du port archaïque. Le plan du bâtiment, comme ses dimensions (un mur de refends créant à l’intérieur deux espaces presque identiques), évoquent une salle de banquet, ou hestiatorion. Postérieurement, dans la première moitié du Ve s. av. J.-C., une pièce quadrangulaire supplémentaire est ajoutée contre la face sud-est du grand édifice. D’autres espaces bâtis au nord-est le long de la façade pourraient rendre compte de l’existence d’un possible portique. On note pour ces périodes hautes (vers 510-450 av. J.-C.) un luxe inconnu encore à Marseille. Les murs, comme les sols, sont revêtus, dans les nouvelles constructions, d’une couche d’enduit de terre ou de chaux parfois peints (enduits bleus égyptiens sur enduit argileux, avec ou sans couche préparatoire) de motifs polychromes (oves et bandes en bleu égyptien, et rouge). Les toits étaient couverts de tuiles courbes et plates en pâte marseillaise micacée, ou importées de Grande Grèce (Vélia ?) et d’Étrurie. Les mobiliers archéologiques retrouvés dans les remblais d’abandon postérieurs confirment le caractère exceptionnel de ces lieux, consacrés, semble-t-il, à la pratique du symposion, où pouvait se réunir l’élite de la cité grecque, selon une pratique bien attestée par ailleurs. À Marseille, c’est une grande première, et cela constitue une découverte exceptionnelle, qui a justifié la conservation du site pour une exploration ultérieure et son classement au titre des Monuments Historiques. - vers 450-400 av. J.-C. Durant cette quatrième phase, le site connaît un bouleversement topographique, lié à un changement de fonction. Le grand bâtiment est nivelé, ainsi que les espaces environnants. Il est difficile de dire à quoi ces nouveaux espaces sont dévolus, mais on observe en un point du chantier de nouvelles constructions, d’une part à l’emplacement de l’édifice archaïque, et d’autre part, il semble que les activités artisanales métallurgiques reprennent sur le site même, où l’on peut les suivre jusqu’à la période hellénistique (vers 150-50 av. J.-C.). La fonction sympotique des lieux semble alors définitivement abolie. - vers 400-50 av. J.-C. De ces trois siècles et demi, peu de choses ont subsisté sur le terrain. Quelques maigres témoins ont cependant survécu, telle une baignoire-sabot, installée aux IIIe-IIe s. av. J.-C. dans l’angle nord de l’ancien édifice archaïque. Un grand remblaiement, ainsi qu’un arasement des parties supérieures du site, constituent le prélude de la nouvelle transformation du quartier. En témoignent ainsi les quelques éléments de murs conservés et les morceaux d’enduit rouge retrouvés dans la baignoire, qui perpétuent les orientations mises en place au premier quart du VIe s. av. J.-C. Les vestiges mobiliers de la période hellénistique, extrêmement ténus, se limitent, pour l’essentiel, à des épandages de scories de fer, rappelant la présence proche d’un artisanat du métal. Une seule construction, un mur de direction nord-sud, parementé en gros blocs de grand appareil, orienté à 16°est, montre la mise en place, aux IIIe-IIe s. av. J.-C., d’une trame en rupture avec les orientations précédentes, et correspondant très vraisemblablement à une limite topographique. 2/ Les vestiges mobiliers de l’époque grecque archaïque et classique Les mobiliers céramiques recueillis documentent les deux premiers siècles de vie de la toute jeune cité coloniale de Massalia, fondée aux alentours de 600 av. J.-C. par des navigateurs phocéens. On note, en particulier pour la phase qui correspond à l’utilisation, c’est-à-dire entre 530 et 460/450 av. J.-C., des espaces bâtis en tant que possibles salles de banquet (l’édifice en grand appareil et son extension contiguë à l’est), un ensemble de vaisselle et d’amphores, d’une qualité tout à fait exceptionnelle par rapport à l’ensemble des découvertes déjà faites dans l’habitat grec domestique. Exceptionnel, ce mobilier l’est à deux titres. D’une part, par sa composition, qui le place dans ce qui a pu être déjà révélé dans l’ensemble du monde grec au niveau de l’archéologie du banquet, et d’autre part, par la qualité des objets recueillis. Par la composition de son répertoire, ce mobilier rend compte de la pratique sympotique des lieux. Sur un minimum de 156 vases, exhumés dans des niveaux provenant très probablement de la destruction des niveaux d’utilisation du grand édifice, érigé autour de 540-530 av. J.-C., ainsi que de l’espace couvert adventice au nord-est (portique ?), plus de 55 récipients (= 35,2 %) sont d’origine attique, tandis que les productions locales à pâte claire (« massaliètes ») et grises monochromes ne sont représentées que par 61 individus (= 39,1 %). Du point de vue de l’étude formelle, les vases à boire sont presque exclusivement présents, surtout les coupes à deux anses horizontales ou à une anse, les coupes-skyphoï ou les skyphoï, accompagnées par quelques cratères et des cruches à bouche arrondie. D’autres formes de céramique sont également présentes, comme les mortiers massaliètes micacés, ou les céramiques communes culinaires grecques et étrusques (chytraï, caccabés et urnes ou ollae), qui rappellent que les repas faisaient aussi partie de l’institution. Certains vases de la fin de l’archaïsme sont d’une qualité tout à fait hors du commun. Ils correspondent à des vases de prestige, comme ce fragment de phiale, ou de coupe attique à fond blanc, dont la représentation (Aphrodite assise sur une oie), ou, dans la technique de la figure rouge, ces médaillons de coupes à tige attribuables à Douris (vers 500-460 av. J.-C.), ou au « peintre de Brygos » (vers 490-480 av. J.-C.). On note aussi, à côté des vases attiques à vernis noir majoritaires (coupes de type B et C, Castulo cups et Vicups), la présence de quelques récipients à fond « rouge corail » (Rheneia cups). Du côté des amphores, le répertoire est très différent de celui connu, Les amphores massaliètes micacées représentent 48,3 % du total des amphores, les étrusques 7,6 %, tandis que les pourcentages les plus élevés appartiennent aux amphores ibériques à huile (?), 11,9 %, et les amphores grecques toutes catégories confondues (surtout les magno-grecques, les Milet/Samos et les samiennes de Zeest) totalisent à elles seules un total de 30,5 %. L’ensemble de toutes ces découvertes, si elles fournissent des jalons pour l’interprétation de la vocation des espaces mis au jour, permet donc encore une fois de démontrer l’appartenance très forte de Marseille à la culture grecque, à travers l’un des aspects les plus fondamentaux : celui de la pratique du banquet couché dans la cité. 3/ Les vestiges des phases postérieures - 50 av. J.-C.-400 ap. J.-C. Pour la période romaine impériale, hormis un lambeau de sol en béton de tuileau et une conduite en plomb portant une estampille, seules demeurent les structures « en négatif », épierrées durant l’Antiquité tardive. L’importance des creusements, dont la largeur moyenne est de 1,80 m, permet de restituer un réseau de puissantes fondations, s’organisant selon deux orientations différentes, et correspondant, selon toute vraisemblance, à l’extension vers le sud de la cavea du théâtre romain. - 400-700 ap. J.-C. Les Ve-VIIe s. ne sont représentés qu’au travers de cette activité de récupération des matériaux. Un épierrement quasi-systématique affecte les constructions antérieures et n’épargne que quelques murs grecs archaïques, profondément enfouis. - périodes médiévale et moderne. Le sac des Catalans en 1423, le dynamitage du quartier en 1943 et les travaux de reconstruction qui suivirent ont entraîné la disparition du bâti médiéval et moderne, n’épargnant que les constructions enterrées, fonds de caves et puits. Ainsi, plusieurs rues anciennes, situées sur l’emprise du site, ne sont matérialisées que par la présence des collecteurs axiaux rappelant leur emplacement originel. De la période médiévale ne subsistent qu’un puits et quelques creusements datant des XIIe-XIIIe s., et une étude d’archives montre que les dommages subis par ce quartier en 1423 mettront plusieurs siècles à être effacés, des places à bâtir demeurant encore disponibles jusqu’au début du XVIIe s.