La prédication de l’abbé de Clairvaux à ses moines vise à les rendre poreux au mystère qui se révèle dans la liturgie ; dans son discours, les métaphores empruntées au champ lexical de la nourriture pour décrire l’assimilation de la Parole sont omniprésentes, inscrivant fortement la prédication dans une dynamique sacramentelle. Cette valeur performative et la conscience qu’en a Bernard ont déjà été largement étudiées. La présente étude se concentre sur un leitmotiv des Sermons de Bernard, l’expression d’origine biblique verbum abbreviatum (Rm 9, 28 citant Is 10, 22-23), qui donne un autre éclairage sur ce thème. Employée par Bernard aussi bien de manière réflexive, pour qualifier sa propre pratique, qu’appliquée au Christ incarné, dans le sillage d’une longue tradition patristique (Origène, Jérôme en particulier), elle inscrit la prédication dans un idéal d’humilité monastique qui est fondamentalement imitation du Christ. Mais l’expression permet aussi à Bernard, paradoxalement, de déployer la théologie trinitaire qui sous-tend sa très haute idée de la fonction prédicative : par son propre verbum abbreviatum, que lui inspire l’Esprit Saint, le prédicateur manifeste le Verbe proféré par le Père.